Des systèmes au bord de la rupture. C’est le sous-titre du dernier rapport de la FAO sur l’état des ressources en terres et en eau. Parmi les pistes de solutions, le Cirad plaide pour des approches territoriales et des processus participatifs de prise de décision. Ces outils puissants permettent la conception de politiques publiques plus inclusives et capables d’enclencher la transition vers des modèles de développement plus durable. Une analyse développée dans un rapport thématique complémentaire de celui de la FAO et coordonné par le Cirad.
« Les ressources naturelles sont poussées à la limite de leurs capacités de production ». La FAO tire la sonnette d’alarme dans son dernier rapport sur l’état mondial des ressources en terres et en eau pour l’agriculture (SOLAW 2021 pour State of the world’s land and water resources).
Publié tous les 10 ans, ce document de référence se base lui-même sur plusieurs rapports thématiques complémentaires, dont l’un a été coordonné par le Cirad. Intitulé « Environnements institutionnels pour une amélioration des moyens de subsistance et une exploitation durable des terres et de l’eau », ce rapport d’expertise est largement repris dans la partie 4 du rapport de la FAO. Il plaide en faveur des processus participatifs pour améliorer la gouvernance de l’eau et des sols et concevoir collectivement de politiques publiques efficaces.
La synthèse du rapport SOLAW de la FAO est parue en décembre 2021, tandis que le document complet et les rapports thématiques de base seront disponibles très prochainement sur le site de la FAO.
De la nécessité d’aller vers des modèles agricoles moins gourmands en ressources
« Ces dernières décennies, les investissements massifs dans l’agriculture et l’irrigation ont clairement aidé à réduire la faim et la pauvreté, rappelle Caroline Lejars, directrice adjointe de l’unité de recherche G-Eau et coordinatrice du rapport complémentaire. Mais cette réussite s’est opérée à deux coûts : une exploitation grandissante, et aujourd’hui inédite, des ressources en eau et en terre ainsi que le développement d’inégalités toujours plus importantes ». De ce constat global, une nécessité s’impose : il faut changer de modèle d’exploitation de nos ressources pour s’orienter vers une agriculture plus agroécologique.
Renforcer la participation citoyenne pour améliorer la gouvernance de l’eau et des terres
L’équipe de scientifiques pointe un autre constat : les politiques publiques sont souvent conçues « en silos » et peinent à prendre en compte la diversité croissante des exploitations agricoles. L’équipe propose et développe des recherches pour renforcer la participation citoyenne aux processus décisionnels et établir des interconnexions entre les niveaux local, régional et national.
L’enjeu de cette participation est de prendre en compte les attentes et les contraintes des différents acteurs des territoires, afin de pouvoir prendre les décisions convenant au plus grand nombre et à l’environnement.
Ces recherches visent ainsi à améliorer les dispositifs de gouvernance de l’eau et des terres et à faciliter l’élaboration de politiques d’appui à des modèles plus inclusifs et moins gourmands en ressources à l’échelle d’un territoire. Pour ce faire, les processus participatifs sont généralement co-conçus et leurs impacts évalués avec les participants eux-mêmes.
Les approches participatives sont largement utilisées ces dernières années, mais sont aussi parfois instrumentalisées ou mal évaluées. Si la participation n’a lieu que de manière superficielle ou partielle, elle risque de reproduire des formes préexistantes d’exclusion sociale, de marginalisation et de corruption. Nous sommes convaincus que ces processus peuvent être très puissants s’ils sont bien menés et si leur impact est évalué.
Directrice adjointe de l’unité de recherche G-eau et coordinatrice du rapport complémentaire
4 000 participants pour adapter les campagnes tunisiennes au changement climatique
Par exemple, le projet Pacte (Programme d’adaptation au changement climatique des territoires ruraux vulnérables de Tunisie) teste un vaste dispositif participatif pour l’aménagement du territoire en Tunisie rurale. Il s’appuie sur des plateformes conçues comme des réseaux collaboratifs rassemblant une diversité d’acteurs (citoyens, agriculteurs, élus locaux, agents de l’administration, acteurs de la société civile et du secteur privé, scientifiques…) dans cinq gouvernorats du pays.
Entre 2019 et 2021, le projet Pacte a permis de collecter 12 000 propositions d’actions (dont 3000 directement liées à l’eau potable et l’irrigation) au cours d’une centaine d’événements publics organisés avec près de 4000 participants.
Toutes et tous sont engagés dans un dialogue public destiné à identifier les enjeux de développement territorial prioritaires, à planifier des actions à mettre en œuvre pour répondre à ces enjeux et à suivre et évaluer les impacts de ces actions.
L’objectif est non seulement de permettre aux habitants d’un territoire de participer directement à son aménagement, mais aussi de faciliter des débats citoyens sur les solutions les plus adaptées pour répondre collectivement aux enjeux de développement.
Du Brésil à la Nouvelle-Calédonie
Le Cirad accompagne également les politiques publiques du Nordeste brésilien pour améliorer la gestion de l’eau, la production agricole et la sobriété énergétique. À travers une approche territoriale et une concertation très large des acteurs de l’État Ceará, le projet Sertões devrait déboucher sur l’identification de trajectoires de développement agricole sobre en carbone, inscrites dans une perspective de transition agroécologique.
Autre exemple concret, la mise en place de la première politique de l’eau en Nouvelle-Calédonie en mars 2019. Cette politique, appelée « Politique de l’eau partagée » (PEP), est le fruit d’une large concertation appuyée par le Cirad et ayant impliqué près d’un Calédonien sur six cents.
Une expertise dans l’ingénierie des processus participatifs
Ces processus participatifs permettent de pallier la déconnexion entre les décisions politiques et les réalités de terrain. Ils sont au carrefour des démocraties participatives, des projets de territoires, des gouvernances inclusives et multi-échelles et des processus de décisions ascendants.
« L’enjeu de ces démarches réside au moins autant dans leurs résultats (les politiques et plans d’aménagement produits) que dans le processus lui-même : à travers les ateliers et les différents échanges, les acteurs du territoire partagent leurs points de vue, identifient les problématiques qui les concernent tous, discutent des modalités du faire ensemble et construisent des actions collectives. Cette expérience en Tunisie montre ainsi qu’une participation locale à grande échelle est possible, d’autant plus dans un contexte caractérisé par peu ou pas d’organisations intermédiaires fonctionnelles, de faibles taux de pénétration du numérique et des taux d’analphabétisme élevés. Nos recherches portent sur les modalités d’ingénierie de la participation dans de tels contextes, ainsi que sur leurs effets » précise Emeline Hassenforder, spécialiste des approches participatives au Cirad et contributrice du rapport SOLAW.
Plusieurs pistes pour accompagner le succès
« Nos recherches nous ont permis d’identifier un certain nombre de conditions favorables au succès de ces démarches participatives, résume la chercheuse. Tout d’abord, les facilitateurs et facilitatrices doivent être formés à la facilitation territoriale, incluant à la fois des compétences techniques (méthodes participatives, distribution de la prise de parole, etc.), mais aussi humaines (écoute, empathie, etc.) ».
Il est également nécessaire d’utiliser des méthodes permettant aux acteurs des territoires de comprendre la complexité de leur territoire et l’ensemble des interactions qui existent entre les différents acteurs, ressources et usages. Les jeux de rôle ou la planification participative permettent de visualiser, de débattre et de tester les liens entre agriculture, alimentation et énergie par exemple.
Par ailleurs, il faut rendre transparentes les modalités d’ingénierie de la participation, voire d’en débattre avec les acteurs eux-mêmes : qui est invité à donner son avis, quand et comment, comment les avis seront pris en compte dans la décision finale, etc. Ces modalités impactent directement la légitimité de la démarche, et donc son succès.
Enfin, les recherches ont également mis en avant des freins au succès de ces démarches. Par exemple lorsque les politiques ne s’engagent pas à prendre en compte les avis des citoyens ou lorsque la démarche participative n’est pas suffisamment adaptée au contexte (laissant la place à une captation des jeux de pouvoir ou à l’exclusion de certains participants).
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