Le 9 août, les Nations unies célèbrent la Journée internationale des peuples autochtones. En Amérique latine comme en Asie, ces peuples voient leurs terres menacées par les entreprises extractives et un modèle agricole productiviste. Pour défendre leur territoire, il leur faut parfois se réapproprier une identité perdue. Reportage dans la communauté Mura de Murutinga, en Amazonie brésilienne.
Gabriel Nota et Gabriela Da Silva pourraient être les deux faces d’une même pièce. Lui souhaite devenir « ingénieur de l’environnement ». Elle compte étudier le droit. Ces deux adolescents de 15 et 16 ans, qui ont grandi et vivent dans le village de Murutinga en Amazonie brésilienne, poursuivent un but commun : protéger les intérêts et les terres de leur communauté issue du peuple Mura.
Ils représentent la relève et donnent l’espoir à Amelia Cabral, institutrice âgée de 57 ans, de voir aboutir un jour le combat qu’elle et d’autres ont entamé il y a quelques années pour sanctuariser leur territoire en le faisant officiellement reconnaître comme Terre indigène (TI). Cela le protègerait des velléités extérieures d’exploitation de son sol et de son sous-sol.
Processus de démarcation
Il y a trente ans, la Constitution brésilienne a en effet réaffirmé le droit des peuples indigènes à disposer de leurs territoires traditionnels, et l’État a lancé un processus de démarcation de ces zones exclusivement réservées à l’usufruit des populations amérindiennes.
Mais depuis 2010, ce processus est presque paralysé, du fait notamment de la pression politique croissante des lobbies agricoles et industriels sur le gouvernement fédéral. Et la présence actuelle de Jair Bolsonaro à la tête du pays n’arrange rien, au contraire.
Gabriel Nota et Gabriela Da Silva.
Cela fait une dizaine d’années que Murutinga est confrontée à l’expansion des élevages bovins alentours. Les éleveurs, « des producteurs blancs de la région », précise Martinho Gomes, le chef élu de la communauté, appelé aussi cacique, « envahissent tout pour faire du pâturage ».
Dans ce petit coin d’Amazonie à quelques heures de bateau de Manaus, la capitale de l’État de l’Amazonas, les familles vivent principalement de la culture maraîchère, de la pêche et de la chasse.
Ils coupent des arbres dont nous récoltons les fruits.
Mais les élevages grignotent d’année en année les terres cultivables et la forêt. « Ils coupent les arbres fruitiers dont nous avons l’habitude de récolter les fruits, comme l’açaï ou le bataua, se plaint Martinho Gomes. La semaine dernière on a constaté qu’ils avaient abattu cinq noyers. Or nous cueillons les noix pour les vendre. C’est un arbre rare qui est en voie d’extinction ici. » La déforestation nuit aussi à la chasse, faisant fuir les animaux.
Les relations avec les éleveurs sont extrêmement tendues. Des menaces de mort sont parfois proférées par ces derniers lorsqu’ils croisent des villageois, « des jeunes partis pécher par exemple », précise Martinho Gomes. Le cacique prend ces menaces au sérieux. « On sait comment ça se passe ailleurs. »
Plus récemment, un autre nuage est venu obscurcir l’horizon de Murutinga. La société canadienne Potash Corp veut s’implanter dans la zone, via sa filiale Potássio do Brazil, pour extraire du potassium.
Depuis cinq ans, le projet est suspendu, à la suite d’une décision de justice. Les juges, saisis par une vingtaine de communautés Mura de la région - soutenues par le Conseil indigéniste missionnaire (Cimi), partenaire du Secours Catholique -, ont constaté que Potash Corp n’avait pas respecté le protocole légal qui l’obligeait à informer et à consulter les populations concernées. La société canadienne n’a pas renoncé à son projet et a entamé une nouvelle démarche, se pliant cette fois aux règles de la procédure.
Renouer avec leur culture, leur permet de s’affirmer en tant que peuple.
Martinho Gomes est inquiet. L’entreprise n’a donné aucune information concernant les résidus de sel, explique-t-il : « Il y a un risque que de grandes quantités s’écoulent dans les rivières et tuent les poissons. » En rendant leur décision, en 2016, les juges ont insisté sur le « grand potentiel de pollution » de l’activité extractive.
C’est pour lutter contre l’accaparement et la dégradation de leur territoire, que Murutinga et d’autres communautés Mura alentour renouent avec leur culture indigène. « Ça va leur donner plus de poids auprès des autorités pour défendre la démarcation de leurs terres, explique Sr Luzinete, du Cimi, qui les accompagne dans cette démarche. Elle ajoute : « Renouer avec cette culture commune, leur permet aussi de s’affirmer à la fois individuellement et en tant que peuple, d’être unis et plus forts. »
Les enjeux sont importants alors qu’une partie de la société brésilienne, y compris en Amazonie, nie l’existence des indigènes et donc de leurs droits.
« La perte de notre culture nous a rendu invisibles, regrette Amelia Cabral. Comme personne ne parlait plus la langue, on a cru que les Mura n’existaient plus. »
L'attrait de la ville
Depuis quelques années, à Murutinga, les danses traditionnelles et la langue nheengatu sont enseignées aux enfants et adolescents.
Permettre à ces derniers d’assumer et même d’être fier de cette identité, gommée par les générations précédentes par honte ou peur des persécutions, est l’un des défis que tentent de relever Marthino Gomes et Amalia Cabral.
Un autre est de convaincre les jeunes de construire leur vie à Murutinga. L’attrait de la ville est fort.
« J’ai plusieurs amis qui veulent vivre à Manaus car ils s’ennuient ici, confie Gabriel Nota. Ils veulent avoir des choses que nous n’avons pas : rouler en voiture par exemple, aller dans des fêtes, dans les magasins. » Partis sans réel projet, beaucoup se sont perdus dans un mirage, confrontés à la délinquance et à la drogue.
À l’école, Amalia Cabral essaye « de conscientiser les jeunes », dit-elle : « Je leur explique qu’ils peuvent aller en ville pour faire des études, une formation, mais qu’il faut revenir ensuite pour aider la communauté. »
Gabriela Braga connaît Manaus, elle y est allée en vacances voir une tante et des cousins qui vivent là-bas. La plage lui a plu, le théâtre aussi où elle est allée voir Roméo et Juliette.
Elle compte y retourner pour cinq ans, le temps d’obtenir un diplôme de droit, mais ne souhaite pas faire sa vie là-bas. Pour elle, le déracinement et « la perte de tout ce qu’on a déjà : la nature, le calme, la solidarité » ne devraient pas être la condition pour accéder à plus de confort. « C’est ici, dit-elle, que nous devons agir pour améliorer nos conditions de vie. »
Il faut sécuriser les droits fonciers collectifs pour une action climatique concrète et juste
Alors que nous traversons une crise qui est à la fois environnementale, sociale, économique et politique, les peuples autochtones nous alertent de la menace que le système économique globalisé fait peser sur leurs modes de vie et leurs territoires. Les populations autochtones sont particulièrement vulnérables face aux impacts des changements climatiques, alors qu'elles ne contribuent que très peu aux émissions de gaz à effet de serre.
Or l’Amazonie, comme dans ce reportage, et d’autres forêts, mais aussi les océans ou les tourbières, sont des réservoirs naturels qui absorbent le carbone, appelés puits de carbone. Ils permettent de le séquestrer et ainsi de diminuer sa concentration dans l’atmosphère.
Ainsi, dans le rapport de l’alliance internationale Clara, dont fait partie le Secours Catholique, « Les pistes inexplorées pour ne pas dépasser les 1,5°C », il est établi que les terres des peuples autochtones et des communautés locales de 64 pays stockent plus de 293 gigatonnes de carbone du fait notamment de la gestion et protection des écosystèmes par les communautés.
Comme l’indique ce rapport : « Protéger les forêts tout en confiant la gestion de ces dernières aux populations et aux communautés autochtones afin de garantir la biodiversité, la sécurité et la souveraineté alimentaire et la séquestration du carbone est une première étape urgente pour mettre fin à la déforestation et redonner aux forêts leur rôle historique de puits net de carbone forestier ».
Dans beaucoup de communautés, le rapport à la terre est essentiellement collectif et s’articule avec une responsabilité partagée de la communauté envers la nature. Les décisions relatives à la gestion des ressources naturelles se prennent collectivement et favorisent ainsi une gestion durable dépassant l’intérêt individuel. Mais les droits fonciers ne sont pas toujours respectés ou reconnus au niveau local et national, empêchant ainsi les communautés de gérer leurs territoires. Les ressources naturelles, comme le bois, sont alors sujettes à de nombreuses convoitises des entreprises privées, mettant en péril les écosystèmes mais aussi le climat.
Sécuriser les droits fonciers des populations autochtones est donc une action climatique concrète, efficace et juste que les gouvernements doivent mettre en œuvre rapidement, en parallèle d’une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs émetteurs, pour limiter la hausse des températures à 1,5°C par rapport aux températures de l’ère préindustrielle, tout en protégeant les droits des communautés.
Par le département Plaidoyer international du Secours Catholique
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