Pasar al contenido principal

page search

News & Events Conflits fonciers au Burkina, pour quels mécanismes de résolution ? Selon Vincent De Paul Kaboré
Conflits fonciers au Burkina, pour quels mécanismes de résolution ? Selon Vincent De Paul Kaboré
Conflits fonciers au Burkina, pour quels mécanismes de résolution ? Selon Vincent De Paul Kaboré

Par: VINCENT DE PAUL KABORE, Promoteur immobilier et Chef de terre

Source: Le Faso

Date: 07/08/2020

Au Burkina Faso, les conflits fonciers surgissent chaque année, surtout en période hivernale (notamment pour les conflits fonciers ruraux). Ils sont devenus récurrents ces dernières années et sont plus que d’actualité. Souvent sanglants, ces conflits endeuillent des familles et menacent la cohésion sociale au sein d’une communauté, voire du pays. Mais, quels sont les mécanismes de résolution de ces conflits, existants au Burkina Faso ? Vincent De Paul Kaboré nous éclaire la lanterne au travers de cet article.

 

Avant de nous intéresser aux mécanismes de résolution des conflits liés au foncier au Burkina Faso, il est primordial pour nous de rappeler certaines règles d’usages et coutumières liées à la possession, à l’occupation et à l’exploitation de la terre. Le groupe accueilli qui a obtenu une autorisation de défriche de la part de ses tuteurs détient des droits complets (à l’exclusion du droit de vendre) et permanents sur les terres, celui qui bénéficie de défriches réalisées par les fondateurs possède un « droit à nourrir son ventre » révocable, en théorie, en cas de « mauvais comportement ». Il est souvent demandé aux nouveaux venus une sorte de « dime » sur leurs récoltes ;

Les terres obtenues par des communautés nouvelles peuvent servir à leur tour pour installer d’autres villages, les logés jouant à leur tour un rôle de tuteurs vis-à-vis des nouveaux venus ; Lorsque la terre est attribuée, que ce soit pour cultiver ou pour y construire des habitations, il revient à la famille du chef de terre d’aller délimiter le terrain. Les acquéreurs ne peuvent pas outrepasser ces limites ou en créer de nouvelles ; Les terres obtenues par une communauté qui quitte la région sont reprises par son tuteur. Par contre abandonner un village sans laisser un représentant de sa famille derrière revient à libérer la terre et à renoncer aux droits sur elle.

Les terres d’un village-mère abandonné reviennent au village de même alliance le plus proche. Au niveau des arrangements interindividuels, la fonction d’un tuteur qui disparaît sans laisser de descendant est reprise par le plus âgé des parents les plus proches dans la ligne patrilinéaire. Il peut toutefois arriver qu’un neveu de la lignée paternelle joue le rôle d’héritier.

Ce préalable est nécessaire pour comprendre que les conflits liés aux terres de tenure coutumière sont généralement régies par les règles coutumières mais les immeubles munis de titres fonciers ou d’autres actes administratifs ou judiciaires qui les affranchissent logiquement du cadre coutumier sont quant à eux, usuellement réglés par les dispositions de la loi. Par conséquent, ces conflits fonciers sont indifféremment soumis à divers mécanismes de résolution. En général, on peut regrouper les mécanismes de résolution des conflits liés au foncier en trois voies : la voie administrative, la voie judiciaire et celle coutumière.

1. Pour ce qui est du règlement des conflits par voie administrative, il faut noter que les acteurs qui sont habilités à les résoudre sont les Maires, les Préfets, les Hauts commissaires, Gouverneurs, et les Présidents de conseils régionaux. Mais d’habitude, l’administration locale s’investit peu dans la régulation des problèmes de terres, notamment dans ceux qui impliquent la confirmation ou l’infirmation de droits « traditionnels ».

L’autorité administrative évite de recourir à la loi et préfère soit « geler » la terre objet du litige, soit renvoyer aux chefs de terres la résolution des conflits fonciers, éventuellement en assortissant cette mesure de menaces dans le cas où les protagonistes persisteraient dans leur opposition. Mais s’il arrive aux autorités administratives de brandir des menaces devant des plaideurs en conflit, c’est souvent pour les intimider et les amener à trouver rapidement un arrangement à l’amiable, sous peine de se voir appliquer « la loi » (qui ne donne d’ailleurs aucune règle pratique de résolution de problèmes).

L’essentiel pour elle, est de maintenir la paix sociale ou de préserver l’ordre public, pas de rendre la justice.Par exemple, un conflit survient suite à la contestation de l’exploitation d’un champ par deux parties. Les deux plaignants revendiquent la propriété du champ, parce que leurs parents respectifs ayants cultivé sur ledit champ. Ces deux plaignants sont tous deux dans l’erreur, parce que le champ avait été attribué à leurs parents pour exploitation par les vrais propriétaires terriens que sont les fondateurs du village.

La vraie histoire c’est que, les premiers occupants du champ ont quitté le village, ce qui est considéré comme un abandon du champ. Les propriétaires terriens ont donc décidé d’attribuer le terrain à une deuxième famille. Et c’est lorsque l’un des fils de la première famille à avoir occupée le champ vient réclamer sa restitution que les problèmes commencent. Les plaignants vont saisir par exemple le préfet. Celui-ci va écouter les deux parties et ensuite chercher à écouter les témoins, autrement dit ceux qui pourraient être au courant de la vraie histoire du terrain.

Si malgré tout cela, le préfet n’arrive pas à concilier les deux plaignants, il sera obligé de leur demander de régler l’histoire selon leurs coutumes, tout en les prévenant que s’il arrive qu’il y ait un trouble à l’ordre public suite à leur bisbille, il pourrait « geler » le terrain ou l’attribuer à une tierce personne qui en ferait la demande. Cette menace est souvent assimilée à du « bluff », juste pour les pousser à résoudre le conflit. Ce mécanisme appelle une résolution du conflit à l’amiable. L’inconvénient, c’est que les plaignants peuvent après contester le compromis trouvé, ce qui ramènera l’affaire au point mort.

2. En ce qui concerne la résolution par voie judiciaire, le mode de règlement est tout autre. En effet, les juridictions compétentes pour connaitre des conflits fonciers peuvent être saisies soit par assignation, soit par une requête conjointe des protagonistes. L’assignation à comparaitre est une convocation. C’est la partie demanderesse qui cite son protagoniste à comparaitre devant le juge.

L’acte d’assignation est généralement établi par un huissier de justice. Acte d’assignation à l’intérieur duquel sont précisés les identités des parties concernées, l’heure et la juridiction à laquelle elles doivent se présenter. À la réception de l’acte de saisine, la juridiction compétente assure l’instruction du dossier à l’issue de laquelle il est programmé pour jugement. Il faut préciser que les litiges fonciers peuvent être jugés par les Tribunaux départementaux(TD) ou les Tribunaux de grandes instances (TGI).

L’avantage de l’usage de cette voie c’est que le litige est tranché en se basant sur la loi qui est formelle. La sentence est écrite, ce qui laisse des traces. Le hic, c’est que le règlement judiciaire met rarement si non difficilement fin à un conflit foncier, de façon durable notamment dans le milieu rural. La raison est que l’écrit n’est pas la chose la mieux partagée dans ces milieux où les engagements sont oraux, du coup, la voie judiciaire qui est respectueuse d’un formalisme souvent inquiétant, aboutit à des décisions ou jugements impossibles à exécuter.

De fait, la pouvoir judiciaire traite les questions pénales liées au foncier conformément aux textes sans toucher à la vraie question de : à qui appartient le terrain. De façon plus pratique, prenons le cas de gens qui se blessent à l’occasion de revendication de la propriété des terres et que le juge se contente de juger uniquement les cas des blessures sans se préoccuper de dire à qui appartient les terres, objet des revendications, il est clair dans ce cas que le conflit n’est pas encore réglé. Aussi, il n’est pas donné à tout le monde de supporter les frais d’un procès, notamment en milieu rural. Ce qui décourage plus d’un.

3. L’autre voie de règlement de conflits liés au foncier est celle coutumière. Lorsqu’un problème survient, l’on fait appel au chef de terre « Tengsoaba » du village. Il se charge de convoquer les protagonistes, les témoins pour entendre leurs versions. Et ceci, souvent en présence du chef du village.

Après avoir écouté les deux plaignants et leurs témoins, le chef de terre à la lourde charge de trancher. Le plus souvent, après avoir jugé l’affaire, on demande un sacrifice d’animaux pour enterrer la hache de guerre. Cela peut être des poulets, une chèvre, un mouton…

La viande de ce sacrifice est partagée en parts égales ou inégales, c’est selon, entre les membres de la grande famille du chef de terre, souvent avec ceux la famille du chef du village. Aussi, l’on peut demander au protagoniste qui a tort de dédommager celui qui sera désigné « gagnant ». Cela peut être constitué d’un animal et d’une certaine somme d’argent.

Au cas où aucun des deux n’a raison, le chef de terre ne leur « restitue » pas la terre. Il arrive que le litige implique deux villages à propos d’une portion de terre située à cheval entre ces villages. Lorsqu’on n’arrive pas à trouver des anciens qui se rappellent de l’histoire de cette terre, il faut passer à un autre stade.

C’est celui de procéder à une ordalie de poulets pour demander aux ancêtres la solution au litige à savoir, qui est le véritable héritier de la terre. L’avantage de ce mécanisme, c’est que personne n’ose aller (dans la plupart des cas) à l’encontre des verdicts coutumiers craignant d’avoir plus tard affaire au courroux des ancêtres. Le souci, c’est que le verdict n’est pas formalisé par écrit, il n’est que verbal.

Certains malins se plaisent à passer outre cela sous prétexte que ce n’est pas codifié.

De ce qui précède, nous pouvons retenir que tous ces différents mécanismes de résolution des conflits fonciers ont certes beaucoup de mérites mais ils présentent également d’indéniables faiblesses auxquelles il faudrait trouver des solutions.

Les solutions aux insuffisances liées aux règlements des conflits fonciers doivent être retenues en tenant compte de l’environnement juridique général du pays et du contexte socio-culturel de chaque localité. Il se dégage que le mode de règlement juridictionnel est le plus efficace et le plus sûr. Il s’agira donc de mettre à la disposition des magistrats, aux autorités coutumières et administratives et des populations des textes adaptés et facilement applicables.

Aussi est-il nécessaire de prévoir une procédure rapide d’homologation des décisions de conciliation et des règlements au niveau coutumier et administratif au plan judiciaire. De même, il faut rendre obligatoire l’immatriculation des terres avant toute vente, réviser la règlementation sur les lotissements et les vulgariser puis procéder aux lotissements anticipés des zones d’habitations.

Notons qu’il faut bien étudier la typologie du conflit foncier auquel on fait face pour utiliser l’un de ces mécanismes. S’il arrive que le mauvais mécanisme vienne à être utilisé, cela fera plus de mal que de bien. Retenons que, un conflit foncier est dit réglé quand toutes les questions de revendications, de dédommagements et surtout de conciliation ont été sérieusement examinées et correctement évaluées et exécutées et que la cohabitation est redevenue normale.

Du reste, il est illusoire de croire que les conflits fonciers peuvent être définitivement éradiqués. Ce sont des faits sociaux qui font partie de la dynamique de toute société. C’est pourquoi il est indispensable de mettre en place des stratégies pour limiter et/ou contenir ces conflits et d’entreprendre la sécurisation des propriétés foncières avec un cadastre national et les registres domaniaux tenus à jour.