Date: 22 mars 2017
Source: Afrikipresse
Par Louis-Marie KAKDEU, PhD & MPA
Selon le ministère en charge des affaires foncières, 50% des litiges retrouvés devant les tribunaux sont fonciers. Malheureusement, cette intensification des conflits fonciers engendre le blocage des chantiers de développement. D’après la Constitution camerounaise, la propriété est le droit d’user, de jouir et de disposer des biens garantis à chacun par la loi. Normalement, la propriété d’une terre donne droit sur ce qu’elle produit et sur ce qui s’y trouve.
Mais, est-ce vraiment le cas au Cameroun ?
Ce qui cloche
Depuis une dizaine d’années, le gouvernement camerounais a entrepris une vaste entreprise de révision des lois forestières, minières et environnementales mais, l’essentiel reste à faire. Le code foncier encore en vigueur en 2017 date de 1974 (ordonnances n°74-1, n°74-2, n°74-3 du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier, le régime domanial, la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique et les modalités d’indemnisation). Il est obsolète et ne correspond plus à la conception actuelle de la terre comme bien marchand. Il ne tient surtout pas compte de deux facteurs essentiels de l’investissement que sont la croissance démographique (ayant déjà doublé) et l’engouement des investisseurs pour les terres agroindustrielles (près de 2 millions d’hectares convoités en 2012 selon la Friedrich Ebert Stiftung).
Ensuite, le code foncier camerounais ne traite pas explicitement du foncier rural. Pourtant, près de 85% de terres relèvent du droit coutumier (terres non-enregistrées ou terres domaniales) selon le Centre pour l’Environnement et le Développement (CED). Il tente de parvenir à un régime unique de propriété en conciliant les procédures urbaines (immeubles) et rurales. Or, après plus de 40 ans de pratique, le volume des textes et règlements applicables est épais (environ 120 décrets, arrêtés, circulaires, etc.) et la compréhension des procédures légales n’est pas accessible au citoyen ordinaire, ce qui ouvre la porte aux confusions et arnaques de toute sorte. D’une localité à l’autre, les procédures à respecter pour acquérir, louer ou vendre le terrain sont diversement interprétées que ce soit par les autorités traditionnelles ou par les autorités administratives parfois zélées.
Enfin, au lendemain des indépendances, le législateur s’était contenté de reconduire le droit colonial existant en matière foncière qui ignorait le droit coutumier attribuant la propriété foncière aux autochtones. Ainsi, la terre continue d’appartenir officiellement à l’Etat pourtant, dans la pratique, le même Etat est obligé d’indemniser les riverains dans ses entreprises de développement. Par exemple, le chantier de l’autoroute Douala-Yaoundé traîne depuis bientôt une décennie entre autres pour des raisons foncières liées à l’insatisfaction des riverains dans l’indemnisation.
Que faire ?
La première mesure est de mettre fin au dualisme juridique qui gouverne le foncier au Cameroun notamment en milieu rural. Il faudrait reconnaître la propriété foncière coutumière conformément à la Convention n°169 de l’OIT qui oblige les Etats à prendre des dispositions pour préserver les droits de propriétés des peuples autochtones. La réforme foncière devrait aller dans le sens de la lutte contre la pauvreté et non dans le sens de la consolidation des possibilités d’expropriation portant préjudice à l’existence. Pour rappel, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples stipule que « les peuples ont la libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Ce droit s’exerce dans l’intérêt exclusif des populations ». L’Etat devrait prendre des mesures incitatives (comme l’organisation d’une campagne nationale) pour pousser les propriétaires coutumiers à enregistrer leurs terres en vue de les protéger contre l’accaparement et de permettre à ces paysans d’avoir accès au marché des capitaux. De nos jours, les propriétaires de terre non-enregistrées sont pauvres. Pourtant, un simple titre de propriété leur servirait d’hypothèque auprès des banques commerciales pour demander des crédits d’investissements susceptibles de leur permettre de viabiliser leurs biens et de sortir potentiellement de la pauvreté. Une telle expérience avait permis en 1995 à près de 80 % de la population ougandaise de devenir des propriétaires fonciers à part entière. Mieux, l’Etat pourrait développer le mécanisme d’apport en nature pour permettre aux propriétaires locaux d’entrer dans le capital des sociétés concessionnaires. Une telle approche participative est plus pacifique et en accord avec les exigences des droits de l’homme.
L’Etat devrait surtout adopter une approche globale et harmoniser les actions actuellement sectorisées (affaires minières, forestières, environnementales, foncières, domaniales, etc.) en vue d’éviter des chevauchements dans l’affectation de l’espace. Aussi, il devrait adopter une approche inclusive garantissant le libre consentement éclairé des populations locales avant toute cession de terre et surtout, leur droit d’accès aux ressources indispensables à leur survie comme l’eau conformément au Pacte international relatif aux droits civiques et politiques des Nations Unies qui prévoit qu’en aucun cas, « un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance ». En 2017, l’Etat provoque encore beaucoup de conflits à cause de son expropriation des riverains pour constitution des réserves foncières dans son domaine privé. Par exemple, dans le département du Mbéré, région de l’Adamaoua, l’Etat a décidé de façon unilatérale de ne laisser qu’un rayon de 3 kilomètres aux populations locales qui vivent en majorité de l’élevage (des bovins) et qui ont besoin de plus de terre pour leur pâturage. Une telle approche unilatérale rappelle les méthodes coloniales et suscite des incompréhensions dans un pays attendu sur le terrain de la liberté et de la démocratie. Enfin, il faudrait renforcer les capacités des parties prenantes sur la connaissance du cadre juridique qui doit garantir l’égal accès des hommes et des femmes à la terre et aux ressources naturelles. La Déclaration universelle des droits de l’homme prévoit en son article 17 que toute personne a droit à la propriété. En somme, il est besoin de démocratiser la gestion foncière au Cameroun à travers l’amélioration de la participation et de la représentation des parties prenantes, de la transparence dans la procédure foncière et de la décentralisation des prises de décisions au niveau local.
La réforme des droits de propriété au Cameroun n’est pas seulement incontournable pour ses enjeux sociaux, mais également pour redonner confiance aux citoyens et les inciter à produire, investir, et innover afin de créer plus de richesses et d’emplois.