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News & Events 10ème anniversaire de la VGGT du CSA
10ème anniversaire de la VGGT du CSA
10ème anniversaire de la VGGT du CSA
10th Anniversary of the VGGT
10th Anniversary of the VGGT

Une fois de plus, les organisations internationales de développement (Banque mondiale, FIDA, FAO, USAID, GIZ et autres) se sont réunies pour discuter des Directives volontaires, qui ont été approuvées en mai2012. Un succès incontestable est d'avoir également associé le plus grand mouvement paysan, La Via Campesina, qui dès le jour de l'approbation a applaudi avec enthousiasme ce processus.

Pour ceux qui ont la mémoire courte, il est nécessaire de rappeler pour la énième fois la période historique dans laquelle les VGGT ont été insérés, afin que l'opération de manipulation si brillamment réalisée soit plus claire, ainsi que le cul-de-sac dans lequel nous nous trouvons maintenant.

Les années 90, malgré la domination agressive du modèle néolibéral, individualiste, centré sur le marché de Dieu, avaient vu l'éternelle question de la "Terre" ressurgir au niveau international, tant par la question de la Réforme Agraire que par celle des droits des populations locales et indigènes. La question du genre tentait également de gagner de l'espace, dans un monde, le monde agraire, dominé par une vision machiste tant dans les institutions gouvernementales que dans les agences de l'ONU et les mouvements paysans.

Une conjonction favorable d'astres a fait que le Directeur général de la FAO, Jacques Diouf, a écouté la demande initiale des Philippines, rejointes ensuite par le Brésil, a pris la question à cœur et, malgré une forte résistance interne, notamment de notre unité (le Service des régimes fonciers) et de son chef anglais, a décidé d'aller de l'avant, faisant approuver l'idée d'une conférence internationale par tous les comités internes et a confié sa mise en œuvre au nouveau directeur, un Iranien sensible mais non spécialiste du sujet, avec qui j'ai eu l'honneur de partager l'essentiel des travaux préparatoires.

La Conférence (ICARRD) s'est déroulée au Brésil, puisqu'ils avaient mis les fonds nécessaires pour pouvoir les dépenser sur le marché politique intérieur pour tenter de redorer le blason du Président Lula qui, sur cette question, n'avait tenu aucune des promesses qu'il avait faites lors de la campagne électorale. Il est symptomatique qu'après avoir discuté des dates pendant des mois afin d'être certain de sa présence à l'ouverture, Lula ait préféré, au dernier moment, partir en Angleterre pour se faire photographier avec la reine Elizabeth, confirmant ainsi que ses priorités allaient vers la classe supérieure aisée plutôt que vers les pauvres sans terre.

La CIRADR a été organisée très différemment de d'habitude, donnant les mêmes possibilités de s'exprimer (dans ce qu'on appelle communément des événements parallèles) à la Banque mondiale qu'à la dernière ONG intéressée. Pour la première fois, les documents préparatoires, qui avaient toujours relevé de la seule responsabilité de la FAO, ont été ouverts aux contributions extérieures, de sorte que l'un d'eux a été entièrement préparé par l'IPC, le bras politique international de LVC sur la question mère, la souveraineté alimentaire.

Bien sûr, la Banque mondiale et ses acolytes (comme l'USAID, le DfiD) n'ont pas apprécié cette bouffée de démocratie, et ne se sont pas montrés, mais ont commencé à travailler dans les coulisses pour préparer un avenir différent de celui qui se préparait à Porto Alegre.

La CIRADR, comme tout le monde et toutes les personnes qui y étaient s'en souviennent, a été un moment de dialogue ouvert et sincère, même avec les mouvements paysans qui étaient plus réticents à entrer dans une logique de dialogue et de négociation, et elle s'est terminée avec un très fort sentiment de positivité.

Nous étions conscients que les pays du Nord, c'est-à-dire les bailleurs de fonds, n'étaient pas contents que nous pensions à aborder cette question avec les mouvements sociaux et les organisations paysannes et indigènes, sans donner un rôle principal aux potentats du Nord. Le problème de savoir comment nous organiser pour le suivi s'est donc immédiatement posé.

Grâce au soutien des collègues du FIDA, il a été possible de penser à une initiative commune, avec la FAO et les mouvements paysans intéressés, en commençant par les projets en cours, pour démontrer dans la pratique la validité du principe pivot de la CIRADR : le dialogue et la négociation, pas la simple participation, mais la création des conditions, c'est-à-dire aller discuter des dynamiques de pouvoir locales, se mettre autour d'une table où l'on pourrait discuter des politiques et de la législation et des programmes en faveur du dépassement des "goulots d'étranglement" qui bloquent tout effort de "développement".

La résistance était plus grande que nous l'avions estimé, mais ce à quoi nous ne nous attendions pas, c'était la trahison de LVC.

Les pays du Nord, initialement très réticents à toucher à la question foncière, avaient lentement cédé au conflit croissant dans un nombre de plus en plus important de pays, malgré les tentatives de la Banque mondiale d'orienter ces dynamiques vers des questions périphériques et neutres, c'est-à-dire sans toucher à la question centrale des asymétries de pouvoir. C'est ainsi que la première démarche a été d'envoyer des donateurs parler au nouveau chef de département de notre unité (c'est-à-dire le chef du directeur qui avait pris la responsabilité d'organiser la CIRADR) et de mettre sur la table une grande quantité de fonds pour traiter une nouvelle question, sur laquelle il n'était pas évident que la FAO avait un mandat, le changement climatique, à une condition : oublier la CIRADR.

L'étape suivante consistait à mettre en circulation la proposition de commencer à travailler sur la "gouvernance" de la terre, en gardant en toile de fond l'interprétation de cette question telle que donnée par les gardiens du Consensus de Washington. C'est ainsi qu'est née l'opération VGGT. Objectif principal, retirer de la circulation toute référence à la réforme agraire, ce mot qui, pour ceux du Nord, résonne comme un blasphème dans la basilique Saint-Pierre. L'opération Remplacement avait commencé au début des années 1990, après la chute du Mur et la dissolution de l'ancienne Union soviétique. Le gouvernement américain a proposé (imposé ?) à la FAO d'éliminer deux services qui, à son avis, ne servaient à rien : le premier était la vulgarisation rurale et le second, inutile de le préciser, était le nôtre, qui s'était toujours appelé le Service de la réforme agraire. Une "négociation" politique interne à la FAO a abouti à l'élimination du premier service et à un changement de nom pour le nôtre, qui s'est appelé Service des régimes fonciers. 

Pour les non-initiés, cette étape peut sembler insignifiante ; en réalité, elle était centrale dans l'opération consistant à placer les terres (et les ressources) du Sud sous le contrôle de la finance internationale. La FAO était la seule agence des Nations Unies où l'on parlait de la réforme agraire et où on la promouvait (peut-être pas trop), un changement de structure, et pas seulement une question de technique et de technologie comme au FIDA on aime en parler ces jours-ci.

Il restait un petit espace où l'on parlait encore de réforme agraire, et c'était le journal officiel de la FAO dont j'avais la charge en tant qu'éditeur depuis 1992. Même là, grâce au nouveau patron britannique qui nous a été imposé, le ton a changé, et j'ai été évincé de cette tâche juste à la veille de la CIRADR, pour céder le rôle à un collègue qui a fait carrière plus tard à la Banque mondiale sur exactement les questions de données, de technique et de technologie liées au régime foncier.

Notre service est devenu le Land Tenure Service, le Land Tenure Journal rebaptisé, ce qui restait, c'était la nécessité de désamorcer le potentiel que représentait la CIRADR. C'est à cela que servait l'opération VGGT : d'abord, supprimer définitivement toute référence à la réforme agraire et l'encadrer dans le périmètre de l'administration foncière, du cadastre, des données et de la technologie moderne, afin que nous ne parlions plus de dynamique de pouvoir. Les VGGT sont nés en dehors de la FAO, au sein du CSA, afin de faire croire que le débat serait plus démocratisé, mais le jeu était truqué dès le départ et les mouvements paysans ne l'ont jamais compris, ni à l'époque ni aujourd'hui.

Nés comme "volontaires", les VGGT dépendaient de la bonne volonté des gouvernements au pouvoir, ce qui a immédiatement supprimé tout espoir de changement. La FAO, se déclarant immédiatement non responsable du document final, a clairement indiqué que ce n'était pas son rôle de faire pression sur les gouvernements pour obtenir les mesures les plus progressistes. Tout au plus pouvait-elle apporter une certaine assistance technique si quelques donateurs (les habituels loups du Nord) mettaient de l'argent sur la table.

C'était une opération de manipulation tellement évidente que, dans ma naïveté, je pensais qu'elle provoquerait une très forte réaction contraire de LVC. Imaginez donc ma surprise lorsque, au contraire, ils ont décidé d'entrer dans le processus, pour être présents sur scène en mai 2012 avec l'un de leurs dirigeants, Scapazzoni, pour dire combien ils étaient heureux de l'approbation de cet instrument crucial.

Dix ans ont passé, LVC a eu le temps de se rendre compte qu'ils se sont trompés, mais bien sûr ils n'ont jamais voulu faire leur mea culpa à ce sujet, et aujourd'hui la question de la réforme agraire a, en fait, disparu du débat mondial, alors que les conflits ont augmenté de façon exponentielle partout, et qu'il y a des discussions autour de : données, suivi, meilleures pratiques et comment améliorer les registres fonciers et les droits fonciers formels, c'est-à-dire tout ce qu'il faut pour améliorer les marchés fonciers en faveur des intérêts des puissants (autrefois c'était seulement le Nord, maintenant aussi la Chine et la finance internationale en général).

Hier encore et aujourd'hui, LVC reste assis là à se faire avoir, comme s'ils ne comprenaient pas qu'ils se sont fait arnaquer. L'argent pour les projets dans les pays (du Sud bien sûr, car les problèmes de gouvernance qui existent dans les pays du Nord, typiques des droits non respectés du peuple Sami en Norvège, Finlande, Suède et Russie, tous pays membres de la FAO) ont disparu, alors maintenant le bilan est tiré : zéro résultat, aucun pays exemplaire à montrer, et ainsi ils pensent clore la question des terres pour toujours.

Dommage, c'est la réalité qui s'impose à la théorie, et ce seront une fois de plus les conflits fonciers, maquillés en conflits religieux, qui s'imposeront à notre attention. Dommage, car reconstruire une alliance progressiste prendra beaucoup de temps et surtout de nouveaux visages, tant au niveau des gouvernements qu'au niveau des agences de l'ONU et des mouvements paysans. Moi qui ai passé ma vie à me battre pour ces questions, j'ai fini dans le coin, retraité obligé par l'incompétent directeur général brésilien (comme je l'ai expliqué dans mon livre A Manà), mais au moins je garde une liberté d'expression que beaucoup de collègues de la FAO ont perdue, j'espère pas pour toujours.