Au Cameroun, beaucoup de communautés rurales ne connaissent pas leurs droits, dans un contexte où elles sont de plus en plus confrontées à des investissements fonciers à grande échelle. Sandrine Kouba du RELUFA explique comment la mise en place d'un programme radio a permis d'informer les communautés autochtones sur leurs droits et de les préparer à mieux se défendre face aux investisseurs.
Comme beaucoup de pays en Afrique, le Cameroun a connu une augmentation des investissements fonciers ces vingt dernières années, notamment dans l’agro-industrie, l’exploitation minière et forestière, et les grands projets d’infrastructure. Le département de l’Océan, dans le Sud du Cameroun, est un exemple parlant de la concentration et de la diversité des investissements qui peuvent exister au sein d’un petit territoire. Celui-ci représente moins de 10 % de la taille totale du pays, mais abrite plus de la moitié de la superficie totale des concessions foncières au Cameroun (Figure 1).
Figure 1. Carte du département de l’Océan au Cameroun, montrant la haute concentration de projets commerciaux à emprise foncière. Source : CED (2022).
Divers groupes ethniques vivent dans l’Océan, notamment les Bantous et les Bagyelis, des peuples autochtones dont les droits ne sont pas toujours suffisamment pris en compte lors de l’attribution de concessions foncières pour l’exploitation des ressources naturelles. Non seulement les communautés rurales bénéficient rarement de ces investissements, mais leurs conditions de vie s’en trouvent souvent dégradées.
Au Cameroun, les procédures d’investissement prennent peu en compte les droits des populations rurales. Ainsi, les concessions se superposent souvent aux terres occupées ou utilisées par les communautés, et se chevauchent même parfois les unes les autres. Les investissements ont donc généré de nombreux conflits.
La radio pour informer les communautés
En 2019, le projet LandCam, mis en œuvre par le Réseau de Lutte contre la Faim (RELUFA), le Centre pour l’Environnement et le Développement (CED) et l’IIED, a lancé le programme radio Land Voice en collaboration avec la station radio communautaire Nkuli Makeli, qui émet dans la région. L’objectif était d’atteindre les communautés riveraines de projets d’exploitation des ressources naturelles, afin de renforcer les capacités de ces communautés et d’autres acteurs à défendre leurs intérêts et leurs droits. Ce partenariat avec Nkuli Makeli a été une manière efficace et peu coûteuse de faire passer efficacement des messages auprès d’un large public.
Les émissions ont été produites en français, et une synthèse en langue bagyeli pour faciliter la compréhension par les peuples autochtones. En préparation du programme, l’équipe LandCam a évalué les besoins en connaissances de nos audiences cibles pour assurer la pertinence du contenu. Cela a permis la production d’une série d’émissions autour de différentes thématiques relatives à la gouvernance foncière et aux ressources naturelles, telles que l’expropriation et la compensation, la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE), ou les redevances liées aux ressources naturelles.
Afin de proposer un format attrayant, une personne ressource (issue de la société civile ou parfois de l’administration – par exemple la délégation départementale du ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières) était chaque fois invitée pour apporter davantage d’information et édifier les auditeurs autour de cette même thématique. Le choix des sujets était adossé à l’évaluation des demandes des communautés, afin de refléter les problèmes auxquels elles sont confrontées quotidiennement.
Soutenir de nouvelles audiences dans la défense de leurs droits
Cette expérience suggère que la radio est un outil précieux pour diffuser des informations accessibles à un nombre de personnes beaucoup plus important que celui que l’équipe du projet aurait pu atteindre par des interventions sur le terrain. Et sa légitimité vient du fait qu'elle reflète les préoccupations des communautés rurales. Les réactions ont été très positives : les auditeurs ont trouvé les émissions intéressantes et utiles pour en savoir plus sur les enjeux liés à la terre et aux ressources naturelles qui les concernent. Lors de chaque émission, ils pouvaient appeler la station pour poser des questions en direct à l'invité. Certains ont demandé à ce que plusieurs émissions soient rediffusées, ce qui montre un intérêt durable pour le contenu.
Les premiers retours suggèrent que plusieurs auditeurs se sont sentis mieux préparés à défendre leurs droits après avoir écouté Land Voice. Par exemple, au sein de la communauté Bagyeli du village de Nkolo'ong, installée à côté d'une grande plantation d’hévéa, un auditeur régulier a déclaré que Land Voice avait été d'une grande aide pour sa communauté. En écoutant le programme sur la RSE, ils ont ainsi appris qu'ils avaient droit à plusieurs avantages (redevances, compensations, actions de développement communautaire par l'entreprise) suite à la concession accordée sur leur forêt. Le village envisage maintenant de revendiquer ses droits pour que l'agro-industrie améliore leurs conditions de vie.
Leçons apprises
Une leçon importante de cette expérience est que le travail en collaboration avec une radio communautaire peut nécessiter un renforcement important des capacités des journalistes et des animateurs impliqués, ainsi qu'un soutien à la production des programmes. L'équipe de Nkuli Makeli n'avait pas la capacité technique pour superviser la production des programmes, et l'équipe LandCam a donc rapidement décidé d'engager un journaliste consultant pour les préparer à l'avance et d’apporter son soutien au processus.
Land Voice : un élément d'une approche globale à plusieurs niveaux
Le programme radio Land Voice a montré qu'il existe de nouvelles opportunités de démarginalisation par le droit (legal empowerment), pour mettre le savoir entre les mains des communautés touchées par les investissements. Le programme fait partie d'une approche plus large visant à améliorer la gouvernance foncière de manière inclusive et ascendante, basée sur des activités complémentaires de recherche, d'action et de plaidoyer :
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Le travail de LandCam comprend une forte composante de recherche sur diverses questions liées au foncier, afin de garantir que le plaidoyer politique soit fondé sur des connaissances et des preuves solides.
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Les organisations chargées de la mise en œuvre du projet, le RELUFA et le CED, ont développé des collaborations à long terme avec les médias afin que les questions foncières occupent une place plus importante dans les débats publics, en leur proposant des formations techniques, en leur accordant des subventions pour soutenir leur travail sur le foncier et en les invitant à des événements pour rencontrer des acteurs de la société civile, du gouvernement et du milieu académique, ainsi que d'autres journalistes.
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Le projet a également organisé des dialogues entre communautés et investisseurs, mis en place un mécanisme d'alerte en cas de violation des droits, et créé une coalition d'acteurs de la société civile pour présenter des propositions pour une nouvelle politique foncière aux décideurs nationaux.
L'approche LandCam montre comment l'utilisation de la radio pour mieux informer les communautés sur leurs droits peut et doit aller de pair avec des efforts plus larges pour impliquer le gouvernement et d'autres acteurs clés. Pour que l'émission de radio produise des résultats positifs, le contexte qui l'entoure doit devenir plus favorable aux questions défendues. Cet objectif peut être poursuivi par des interventions durables et globales, qui impliquent un écosystème d'activités à plusieurs niveaux.
Les programmes Land Voice sont disponibles à l’écoute sur le site de LandCam.
Relevant RLBI Navigator resources (en anglais)
Transparency International (2018) Investigating land and corruption in Africa – a training manual for journalists
Ce manuel de formation est un cours complet pour les journalistes et couvre tous les aspects de la recherche, de la rédaction et de la présentation d'une histoire sur la corruption foncière. Il est destiné à toute personne qui assure la formation ou le renforcement des capacités des journalistes.
Natural Resource Governance Institute (2020) Covering extractives: an online guide to reporting on natural resources
Ce guide pratique a pour but d'aider les journalistes des pays riches en ressources naturelles à identifier, analyser et rendre compte des problèmes liés aux industries extractives. Il offre des outils pour élaborer des histoires convaincantes, des pistes de recherche et des inspirations de reporters expérimentés.
Cette note fournit des conseils aux acteurs de la société civile et aux communautés sur la manière d'accéder et d'utiliser les informations contenues dans les contrats avec les entreprises afin de pouvoir : 1) comprendre les obligations de l'entreprise et du gouvernement liées à un projet d'entreprise ; 2) contrôler si ces obligations sont remplies ; et 3) demander des comptes aux entreprises et au gouvernement en cas de mauvais contrats ou de non-respect des engagements importants pour les communautés.
International Accountability Project (2020) Community-action guide: what is development?
Ce guide encourage les communautés à définir elles-mêmes le sens de leur développement et à se demander si les plans et activités proposés correspondent vraiment à leur définition et à leurs priorités en matière de développement. Grâce à des activités, des histoires et des outils pratiques, ce guide présente le développement dirigé par la communauté et aide les communautés à revendiquer leur droit au développement.
NAMATI (2019) Guide to organizing and working with community-based paralegals
Ce manuel est un outil d'apprentissage pratique et un guide de référence utile pour les juristes communautaires et les organisations qui gèrent des programmes juridiques communautaires.
Landesa (2018) Vulnerable groups primer
Ce guide fournit des conseils pour inclure et protéger les groupes vulnérables dans le contexte d'un investissement foncier. Il souligne l'importance d'identifier et de s'engager avec les groupes vulnérables, qui ont souvent des revendications faibles en matière de droits fonciers et sont particulièrement sensibles aux impacts négatifs des changements d'utilisation des terres.