Date: 10 décembre 2018
Source: Famlandgrab, Camer.be
Au mépris d’une décision de justice datant de l’époque coloniale, l’entreprise français occupe et exploite de vastes parcelles de terrains appartenant à quatre communautés du Moungo. Frauduleusement achetés auprès d’un imposteur.
C’est une interminable bataille foncière que mènent les communautés Mouatchom, Loum, Bona Olo et Bona Oho dans le département du Moungo, région du Littoral. Situées à cheval entre les localités de Penja, Njombe et Loum, ces communautés s’opposent à la célèbre société française des Plantations de Haut Penja (PHP), basée dans la localité de Njombé à travers plusieurs procédures judiciaires. Au centre des tensions, un vaste domaine foncier d’une superficie de 743 hectares, objet des titres fonciers 328 et 329 Moungo occupé et exploité par la société française depuis des décennies.
Il y a quelques jours, Me Thomas Dissacke Kwa, l’avocat des communautés, s’est pourvu en cassation contre un arrêt rendu par la Cour d’Appel du Littoral au sujet d'une ordonnance ayant autorisé la vente frauduleuse des terrains litigieux à la société française. Selon les documents dont Kalara a obtenu copie, le conflit qui oppose les communautés Mouatchom, Loum, Bona Olo et Bona Oho à l’entreprise française remonte à la période coloniale. Le 25 septembre1931, le Commissaire français au Cameroun avait pris deux arrêtés accordant à Emile Nassif, un commerçant libanais, deux lots de 433 et 309 hectares pour une durée de 99 ans. Les terrains cédés étaient des «réserves indigènes» dont les propriétaires coutumiers sont les communautés Mouatchom, Loum, Bona Oho et Bona Olo. Avant la cession, l’administration avait fait signer un cahier de charges à M. Nassif lui interdisant, entre autres, de louer, de vendre ou de se faire établir des titres fonciers sur cet espace. Et au terme de l’exploitation, les terrains en concession allaient revenir à leurs propriétaires coutumiers.
Rétrocession manquée
Pourtant, à cause du non-respect du cahier des charges, le Commissaire français avait annulé la concession de terre octroyée à Emile Nassif le 1er juin 1934. Cinq ans plus tard, le 28 décembre 1939, le fonctionnaire français avait pris un arrêté portant «acte de rétrocession des 743 hectares aux quatre communautés indigènes et à 21 notables». Toutefois, l’acte de rétrocession autorisait M. Nassif à poursuivre l’exploitation des terrains pour une durée de 25 ans au bout de laquelle, «les biens présents» reviendraient aux propriétaires coutumiers. En 1947, le commerçant libanais avait créé la société des Plantations Nassif pour exploiter les terrains durant la période transitoire. Usant de la fraude, Emile Nassif va finalement réussir à tromper la vigilance de l’administration en se faisant établir les titres fonciers 328 et 329 Moungo sur les terrains pourtant rétrocédés aux «indigènes».
Thomas Essembe, «fils» des quatre communautés, avait attaqué les deux titres fonciers devant le Conseil du contentieux administratif. En vidant sa saisine, le 3 septembre 1954, en l’absence du plaignant, le Conseil du contentieux administratif avait prononcé l’annulation des titres fonciers 328 et 329 Moungo frauduleusement délivrés à M. Nassif. La décision ordonnait en outre au «conservateur de la propriété foncière» de muter les titres fonciers annulés aux noms des communautés Mouatchom, Loum, Bona Oho et Bona Olo. Le jugement condamnait «le territoire et toute personne qui exploiterait après la présente décision à verser aux communautés indigènes la somme de 100 francs par hectare durant la période de l’occupation considéré illégale». Le jugement n’a fait l’objet d’aucune contestation.
Abandon
Le 27 décembre 1958, le commissaire français au Cameroun a pris deux arrêtés confirmant l’annulation des titres fonciers délivrés à M. Nassif. Le lendemain, 28 décembre, il prenait un autre arrêté autorisant au conservateur foncier de Nkongsamba de muter les titres fonciers comme exigé dans le jugement du Conseil du contentieux administratif. M. Nassif avait été informé (notification) des décisions. Il sera emprisonné et jugé pour faux. À cause du «maquis» qui sévissait dans le Moungo au début des années 1960, les membres des communautés avaient abandonné leurs villages pour se réfugier dans d’autres localités. Le portail de la diaspora camerounaise de Belgique.Sans plus suivre l’issue de la procédure judiciaire engagée contre M. Nassif. Ce dernier, à sa sortie de prison, après l’indépendance du Cameroun occidental, avait poursuivi l’exploitation des terrains litigieux devenant partenaire de la Société des Plantations nouvelles de Penja (SPNP) devenue la Société des Plantations du Haut Penja. Grâce à une ordonnance prise par le président du Tribunal de première instance (TPI) de Mbanga, le 20 avril 1999, la liquidation de la société des plantations Nassif, tombée en faillite, avait vendu les terrains querellés à la SPNP.
Francis Elong Toto, le représentant des communautés, affirme avoir eu connaissance du jugement du Conseil du contentieux administratif rendu en 1954, de manière fortuite, aux archives nationales. Depuis lors, il se bat bec et ongles pour que ladite décision soit exécutée. Le 22 août 2018, la société PHP a échoué devant la Chambre administrative de la Cour suprême à obtenir l’annulation du jugement rendu le 13 avril 2011. Ledit jugement ordonne, aussi, au conservateur foncier de Nkongsamba de muter les titres fonciers 328 et 329 Moungo au nom des communautés Mouatchom, Loum, Bona Olo et Bona Oho. Le recours a été déclaré irrecevable. La procédure en annulation de la vente des terres litigieuses réalisée au profit de la Société des Plantations de Haut Penja est pendante à la Cour suprême. Les communautés estiment qu'il s'agissait de la vente de la chose d'autrui. La Justice saura-t-elle garder la tête froide devant une entreprise qui compte de très hauts dignitaires de l’Etat parmi ses propriétaires ? Wait and see.
Original source: Camer.be