L’accès des femmes aux droits fonciers se heurte au Maroc à trois grandes problématiques: la complexité du système foncier, le caractère inégalitaire de leur accès et, depuis à peu près une décennie, l’inadéquation flagrante de la réglementation foncière avec le rôle économique de plus en plus important des femmes dans la société marocaine.
Ainsi, la première entrave réside dans la complexité du système foncier marocain qui rend difficile l’accès aux droits fonciers aussi bien pour les femmes que pour les hommes. En effet, ce système obéit à deux régimes: un régime traditionnelrégi par les principes de droit musulman et les coutumes ainsiqu’un régime moderne d’immatriculation foncière introduit par le protectorat français.
Il est constitué, en outre, d’une diversité de statuts fonciers (Biens melk, terres collectives, terres guich, les habous…). Cette pluralité de statuts complique l’accès aux droits fonciers dans le sens où elle oblige les bénéficiaires, hommes et femmes, à obéir à des règles, selon le cas, différentes.
Par ailleurs, les femmes comme les hommes accèdent aux droits fonciers soit par voie successorale soit par la passation de contrats entre vifs (achat, vente, différents baux). Les inégalités dont sont victimes les femmes se situent au niveau des deux procédés.
L’accès par voie successorale obéit aux règles de droit musulman ainsi qu’à des coutumes qui trouvent leur origine dans la structure patriarcale de la société bien avant la pénétration de l’islam. Les règles successorales du droit musulman ne permettent pas à la femme d’être une héritière universelle autrement dit elle n’hérite que d’une quote-part calculée selon son lien de parenté avec le de cujus et peut, ainsi, en l’absence d’un frère, voir venir épuiser le reste de l’héritage, des membres mâles de la famille souvent éloignés. De même, la femme voit, par le biais la règle du double, son frère hériter deux fois sa part.
Ces règles successorales même inégalitaires peuvent être détournées par les coutumesdans le but d’exhéréder les femmes et de garder le patrimoine dans la famille du père. Pour cela, il est procédé par hiyale (subterfuges en arabe) comme l’instauration de habousexcluant les filles jusqu’à leur interdiction par le nouveau code des habous. La non déclaration des filles du de cujus est une autre manière de les empêcher d’hériter.
Les coutumes patriarcales pèsent, aussi, sur la jouissance des terres collectives, terres inaliénables dont la jouissance appartient à la collectivité. Les descendantes des collectivistes dites sulalyates sont exclues, sauf à de rares exceptions, de la transmission de cette jouissance et des bénéfices de la liquidation de ces terres. Un parcours de la loi sur les terres collectives permet de se rendre compte que cette discrimination n’y figure pas expressément. Elle est l’œuvre des critères établis par le comité des élus (jmaa) qui les gère sous la tutelle du ministère de l’intérieur.
Un réseau d’associations s’est constitué pour soutenir les sulalyates dans leur remise en cause de leur discrimination. Cette mobilisation relayée par les médias a permis de faire avancer cette revendication. En effet, trois circulaires du Ministère de l’intérieur ont été émises afin de les rétablir, à travers tout le Maroc, dans leurs droits aux bénéfices des cessions des terres collectives. Ces différentes circulaires connaissent, toutefois, des difficultés d’application sur le terrain.
Quant à l’accès aux droits fonciers par le biais de contrats passés entre vifs, il est, à son tour, inégalitaire. La précarité économique et financière des femmes en est la principale cause car souvent, elles n’ont pas de formations suffisantes pour prétendre à des emplois avec des salaires conséquents permettant l’acquisition de biens fonciers. Ajouté à cela, dans le monde rural, leur travail est rarement rémunéré car il se fait dans un cadre familial.
Les modalités de partage des biens acquis au cours du mariage et lors d’un divorce sont aussi une autre cause d’inégalité. En effet, le mariage musulman se fait sous le régime de la séparation des biens. Lors de sa dissolution, le partage des biens acquis pendant le mariage n’obéit pas à des règles expressément définies même s’il peut faire l’objet d’un contrat facultatif et annexe à celui du mariage. Devant ce fait, les preuves de contribution à l’achat d’un bien sont obligatoires mais, comme souvent, la femme ne les possède pas, la marge d’interprétation du juge est grande. Est ajouté à cela le fait que le travail au foyer n’est pas quantifié dans l’acquisition des biens au cours du mariage.
L’inadéquation des droits fonciers des femmes avec la mutation sociétale du Maroc est la troisième et plus importante problématique de ces droits dans le sens où l’accès inégalitaire avait sa justification dans l’organisation sociétale ancienne. Longtemps, le Maroc a été une société patriarcale où la femme était prise totalement en charge par la famille élargie en contrepartie de son rôle domestique. Cette organisation subit depuis quelques années des mutations radicales.
La première est la nucléarisation de la famille marocaine. Elle se compose, de nos jours, du couple et des enfants et non plus de la famille élargie. Le mariage de plus en plus tardif des filles même dans les zones rurales en est la deuxième. La longue durée du célibat des filles les oblige à se prendre en charge financièrement.
La contribution réelle des femmes aux frais des ménages et surtout le nombre croissant de femmes chef de ménage pour cause de divorce, de veuvage ou de chômage du conjoint ont, dans un troisième temps, bouleversé la donne sociétale au Maroc. 18,7% de femmes y sont chefs de ménage selon l’étude faite par le Haut Commissariat au Plan(HCP) en 2011 et intitulée "La femme marocaine en chiffres: tendance d’évolution des caractéristiques démographiques et socio professionnelles".
CETTE mutation permet-elle encore le maintien de l’inégalité? La femme est passée du statut de protégée par la famille élargie à celui de pourvoyeuse aux besoins de sa famille.
Ce changement de statut et le nouveau rôle économique de la femme dans la société marocaine sont loin de trouver leur reflet dans les lois et coutumes régissant encore le système foncier. Cette inadéquation donne lieu à de l’incompréhension, au rejet et à la contestation des discriminations qui n’ont plus de raisons d’être.
POUR conclure sur cette inadéquation, il est nécessaire, tout d’abord, que le système foncier évolue vers plus de simplicité grâce à une unification de régime et de statut qui permettrait un développement économique aisé. Quant à l’accès des femmes aux droits fonciers, il devrait donner lieu à une réforme égalitaire du droit successoral basée sur l’ijtihad ou effort théologique pour une interprétation évolutive de ses règles. De même, une clarification expresse du partage des biens acquis au cours du mariage et la quantification du travail de la femme au foyer éviteraient la discrimination de l’épouse. A son tour, la mise en place d’une politique de discrimination financière positive telle que des crédits à long terme et à taux bas aboutirait à un plus grand accès des femmes aux droits fonciers.
Par ailleurs, la mise en œuvre effective et sans restriction de l’article 19 de la nouvelle constitution qui proclame l’égalité des hommes et des femmes et qui fait référence aux droits humains universellement reconnus devrait, à elle seule, permettre l’évolution de la réglementation foncière.
Il est indéniable qu’un accès égalitaire des femmes aux droits fonciers aiderait à leur autonomisation et par conséquent au développement de toute une société.
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- Source de la photo: AIC Press
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