Enquête sur le foncier : Contribution de Sondé Auguste Coulibaly, Cyber-juriste (spécialiste du droit du cyberespace Africain) | Land Portal

Date: 05 janvier 2017

Source: Le Faso.net

Suite à des constats et plaintes et s’inscrivant dans cette logique populiste en vogue sous la transition, la septième législature a réalisé une prouesse en répondant aux attentes des populations par la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur le foncier urbain.

A l’issue des 90 jours d’enquête sous la présidence du député Boureima BARRY, la commission d’enquête parlementaire sur le foncier urbain a établi et livré au Président de l’Assemblée nationale ses conclusions en date du 13 septembre 2016.

Un mois après, soit le 13 octobre 2016, les députés ont validé le rapport de la commission en séance plénière.

Une première dans la pratique du parlementarisme burkinabé, les conclusions de ce rapport épinglent plusieurs dignitaires du régime déchu de Balise COMPOARE.

Alors que beaucoup pensaient à un classement sans suite de ce rapport à l’image des autres rapports non moins accablants, l’Assemblée nationale a déjoué les pronostiques en proposant une loi à l’effet de donner une base légale au retrait des parcelles illégalement acquises au préjudice des populations.

Du processus d’adoption de la loi n°023-2016/AN du 13 octobre 2016 portant retrait des parcelles illégalement acquises de 1995 à 2015 au Burkina Faso

En rappel, c’est l’assemblée nationale comme le disaient certains, à « fabriquer » sa loi et l’a adopté par la suite. Alors qu’une procédure prescrite par la constitution existe en la matière et qui aux dires de nos juges constitutionnels n’a pas été respectée.

Après l’adoption de la loi le 13 octobre 2016, une date tout de même critique car faut ‘il le rappeler le rapport de la commission avait été adopté en plénière à la même date à moins que la proposition de loi curieusement l’avait accompagné pour être sanctionnée par les députés, le président de l’AN a fini par transmettre le document à la promulgation du chef de l’Etat tel que prescrit par l’article 48 de la constitution.

La procédure d’adoption de cette loi suscite des interrogations notamment sur la volonté manifeste du Président de l’AN de changer par la pratique le régime constitutionnel burkinabé afin de donner plus de pouvoir à son institution.

Raison pour laquelle, je salue à juste titre les sept interrogations soulevées par le cadre de concertation national des OSC dans sa déclaration interpellatrice du 19 décembre 2016 sur certaines dérives institutionnelles au Faso qui pourra à la longue être préjudiciables à l’ensemble des burkinabé.

De l’absence d’une véritable collaboration institutionnelle dans le cadre d’une cohabitation de pouvoir

Le président du Faso en vertu de l’article 155 la constitution, a bien voulu interroger le juge constitutionnel pour un contrôle de constitutionnalité « a priori » de cette loi soumise à sa promulgation quand bien même il n’était pas obligé dans la mesure où la constitution ne fait pas obligation de soumettre les lois ordinaires à un contrôle de constitutionnalité « a priori » contrairement aux lois organiques et les règlements de l’AN.

La présidence du Faso a-t-il perçu une inconstitutionnalité de fond de cette loi ou a-t-il tout simplement voulu manger son piment dans la bouche des juges constitutionnels pour relever cette irrégularité qui n’est que la conséquence d’une volonté unilatérale de troubler le rapport institutionnel entre l’AN et l’exécutif avec monsieur Salif DIALLO comme maître d’œuvre ?

Bref, l’attitude du chef de l’Etat pose quelques questionnements. En effet étant donné qu’il n’ya pas de divorce entre la majorité parlementaire et la majorité présidentielle, politiquement et à mon humble avis, le président du Faso aurait du, de façon sobre saisir le président de l’AN lui demandant tout simplement de suivre la procédure prescrite par la constitution pour l’aboutissement de cette loi.

L’on se pose la question de savoir pourquoi le chef de l’Etat a fait l’économie de ce retour d’information ?

Aussi, pourquoi l’AN a-t-il voulu outre passer la procédure requise en la matière nonobstant une présence remarquée des spécialistes des questions juridiques et constitutionnelles en son sein ?

Sachant bien que pas mal d’institutions de l’après insurrection ne sont plus acquise à la cause des tenants du pouvoir, pourquoi le chef de l’Etat a pris ce risque, juridiquement correcte mais politiquement critiquable de désavouer le président de l’AN par l’entremise du Conseil Constitutionnel du point de vue de la démarche entreprise pour la promulgation de cette loi ?

La conduite du président de l’AN n’est pas non plus sans reproche. Lui qui capitalise pas mal d’années dans les sphères de décision politique pourquoi n’a-t-il pas voulu observer cette procédure ?

Chacun peut aller de son analyse mais on peut penser à un déficit de collaboration sérieuse entre les deux pouvoirs ce qui n’augure pas un lendemain promettant pour les burkinabé.

Ne dit-on pas en droit que la forme tient le fond en l’état. Le président du Faso savait bien sauf si lui-même voyait autres illégalités dans cette loi, que le Conseil allait déclarer cette procédure irrégulière fut-elle minime.

Le Conseil Constitutionnel et l’effet utile de la règle de droit

Le Conseil Constitutionnel participe aux côtés des juridictions suprêmes des deux ordres à l’unification de la règle de droit.

Contrairement aux juridictions suprêmes des deux ordres de juridiction qui ne tranche qu’en droit, le conseil constitutionnel va au delà du droit et peut même trancher en tenant compte du contexte politique, économique et social.

« Considérant qu’il résulte de l’instruction du dossier que la loi n°023-2016/AN du 13 octobre 2016 relative au retrait des parcelles illégalement acquises de 1995 à 2015 au Burkina Faso a été adoptée avant qu’une proposition n’ait été soumise préalablement au Conseil des Ministres aux fins de délibération avant son dépôt sur le bureau de l’AN, ce, en violation de la disposition constitutionnelle ci-dessus visée ». C’est le motif principal de la décision n°2016-025/CC du 11 novembre 2016 par laquelle le Conseil Constitutionnel a déclaré inconstitutionnel la loi susvisée sur le fondement de l’article 97 alinéa 5 de la constitution.

Cette décision de nos juges constitutionnels soulève quelques problèmes de droit.

Certes la Constitution prévoit cette procédure pour l’adoption des lois mais la question qui se pose est de savoir est ce qu’une procédure substantielle ou pas ?

La règle substantielle est celle qui régie directement le fond du droit. Se pose donc la question de savoir si le gouvernement avait aussi le droit dans le cadre de cette procédure de toucher le fond de cette loi ?

A priori, la réponse négative s’impose au risque de faire obstacle à la séparation des pouvoir et ses aspects connexes.

En outre, est ce qu’il s’agit tout simplement de satisfaire à cette procédure sans pour autant permettre au gouvernement la possibilité d’apporter des amendements à une proposition de loi ?

Si on ne permet pas au gouvernement de toucher le fond d’une proposition de loi alors cette formalité est déclarée non substantielle que le Conseil Constitutionnel aurait du en tenir compte en faisant une interprétation utile des dispositions constitutionnelles.

De la neutralisation de l’inconstitutionnalité

Le contrôle « a priori » a pour avantage justement d’éviter la naissance de tout grief lié à l’inconstitutionnalité de la loi. Les éléments contraires à la constitution sont supprimés du texte avant même d’avoir pu porter atteinte à un justifiable généralement réglé par l’exception d’inconstitutionnalité.

Alors l’on se demande en quoi ce vice mineur de forme pourrait mettre en cause les intérêts d’un justiciable en déclarant inconstitutionnel celle loi de retrait des parcelles ?

Par contre si cette loi au regard de son caractère prétentieux pouvait engendrer des difficultés financières dans sa mise en œuvre alors le gouvernement était bien fondé à toucher son fond.

Mais le conseil n’a touché aucune question de fond c’est plutôt ce vice mineur de forme de la démarche qui a été sanctionnée.

Cette décision si elle touchait le fond du droit allait être salué car elle concourt à limiter les moyens de défense basés sur l’exception d’inconstitutionnalité soulevés devant les juridictions ordinaires.

Il faut aussi saluer l’audace et l’ingéniosité du juge constitutionnel burkinabé dans ces prises de positions ces dernières années, toute chose qui signe la rupture véritable avec la pratique d’antan sous le régime COMPAORE.

Que vivement cela inspire les autres juridictions dans le cadre d’autres dossiers en attente de jugement.

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