A Cotonou, l’agriculture urbaine perd du terrain face au béton | Land Portal
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Source: Le Monde


Par: Hermann Boko


L’Afrique en villes (10). Les maraîchers qui alimentent la capitale économique béninoise sont confrontés à la réduction des terres agricoles et à l’infertilité des sols.


Vêtu d’un polo vert usé par le travail dans sa parcelle, Charles Acapko s’applique à désherber ses rangées de laitues. Ce maraîcher d’une quarantaine d’années fait partie des 337 jardiniers regroupés en cinq coopératives qui exploitent le domaine de 15 hectares appartenant à l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique (Asecna) dans le quartier Houéyiho de Cotonou, la capitale économique du Bénin.


Tous les jours, Charles Acapko jardine avec une vue directe sur l’aéroport international. Le balisage lumineux de la piste jouxte le domaine marécageux où les rangées de choux, de carottes, de betteraves et de concombres s’étendent aux limites de la ville. « Le domaine a été ouvert aux jardiniers en 1972. Nous étions au chômage et on a pu négocier avec l’Etat l’exploitation de la terre », explique Charles Acapko, qui préside le site maraîcher.


Sur sa parcelle, qui contient une trentaine de rangées, l’homme jette un œil à ses cultures : des oignons et des laitues d’un côté, des carottes et encore des laitues de l’autre. « Nous n’avons pas beaucoup d’espace, c’est pourquoi nous associons les cultures », explique-t-il, indifférent au ballet des avions.


Complexes hôteliers


Las, l’agriculture urbaine perd du terrain sur la ville. De 263 hectares en 1999, elle n’occupe plus que 50 hectares aujourd’hui. En une vingtaine d’années, les zones agricoles urbaines ont été rognées par une urbanisation galopante, au profit d’infrastructures immobilières. A titre d’exemple, les sites maraîchers situés à l’arrière du palais présidentiel de Cotonou ont été accaparés pour y construire des complexes hôteliers. Certains champs ont été repoussés en périphérie des villes et les superficies ont été réduites.


« Les producteurs vont s’installer ailleurs, ils ont peur de l’insécurité foncière qui prévaut à Cotonou », confirme Pascal Tchékoun, ancien spécialiste en production végétale au Centre régional pour la promotion agricole, l’un des organismes supprimés par les réformes agraires du gouvernement, en novembre 2016. Depuis, le fonctionnaire attend sa réaffectation.


Dans les villes africaines, l’insécurité foncière est permanente et rend l’agriculture urbaine difficile. A Cotonou, notamment, « l’aménagement du territoire n’a pas intégré l’accès au foncier pour l’agriculture urbaine »,explique Blaise Donou, spécialiste en sauvegarde environnementale et sociale auprès du Projet d’urgence de gestion environnementale en milieu urbain (Pugemu) de la Banque mondiale. Pourtant, dit-il, l’agriculture urbaine « est une réponse adéquate à l’insécurité alimentaire en ville ».


Aujourd’hui, l’ensemble des terres emblavées dans la capitale béninoise sont réparties sur quinze sites maraîchers. Avec ses 15 hectares, celui de Houéyiho est le plus grand. Au total, plus d’une dizaine de tonnes de produits quittent ce jardin chaque jour pour les différents marchés de la ville. Un apport indéniable au commerce de Cotonou. Pour Dame Rébecca, vendeuse de fruits et légumes au marché Saint-Michel, le jardin présente un avantage certain : « Il est proche du marché. En cas de besoin urgent, quand mon stock de légumes est fini, je peux rapidement aller m’en procurersur place et revenir à mon étal. »


Cependant, le marché est souvent envahi par des produits moins chers venus des villes de l’intérieur du pays, comme Allada, à 50 km de Cotonou, ou de Lomé, au Togo« Cela nous pose beaucoup de problèmes, car quand les produits venus d’ailleurs arrivent sur le marché, nous ne vendons plus »,regrette Charles Acapko, qui parvient tout juste à gagner 100 000 francs CFA (150 euros) par mois. Dame Rébecca confirme : « Les produits de Lomé, par exemple, sont moins chers. C’est pourquoi nous les privilégions quand ils viennent sur le marché. »


Abus de pesticides


Dans le jardin de Houéyiho, les maraîchers ont mis en place un système d’irrigation pour arroser leurs légumes. Charles Acapko partage une pompe d’arrosage avec un membre de sa coopérative. D’autres utilisent encore de vieux arrosoirs. Mais le sol ne donne plus rien. Contraints de cultiver sur un petit espace, les producteurs abusent des pesticides et des engrais chimiques pour augmenter leurs rendements.


« La terre n’est plus vraiment fertile », se désole Jean, présent sur le site maraîcher depuis plusieurs dizaines d’années : « Nous exploitons ce sol depuis quarante ans. A cause du manque d’espace, nous ne faisons pas de jachère. Avant, on utilisait beaucoup d’engrais chimiques. Mais aujourd’hui nous sommes formés à l’utilisation des composts et des engrais biologiques comme les fientes de volailles»


Pascal Tchékoun incite aussi les maraîchers à la rotation des cultures : « Mais certains ne comprennent pas qu’il faut adapter les cultures au type de terre qu’on peut avoir en ville. Par exemple, sur le site de Houéyiho [composé à 40 % de marécages], on ne peut pas faire en saison pluvieuse des rangées de laitues. Elles seront inondées. » C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à Jean : « J’avais déjà vendu ces laitues à une commerçante du marché Dantokpa, à 5 000 francs CFA la rangée. Mais quand elle est venue les chercher, elles étaient toutes dans l’eau. Je ne peux plus les vendre »,se plaint le maraîcher.


Il aurait dû faire comme dans cet autre jardin, situé de l’autre côté de la ville, dans le quartier Akogbato. Ici, les jardiniers sont souvent confrontés aux inondations mais ont suivi les conseils des collègues de Pascal Tchékoun. A l’approche des pluies, ils ont planté de la canne à sucre, plus adaptée.


En fin de journée, sur le marché Saint-Michel, les clients commencent à affluer devant l’étal de Dame Rébecca. Certains rouspètent devant la flambée des prix. « Le tas de carottes est à 700 francs CFA, je ne peux pas faire autrement », dit-elle à une cliente. Cette dernière se résigne et finit par lui acheter des légumes. Ainsi survivent les maraîchers de Cotonou, oubliés d’une capitale en expansion.

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