Ces terres agricoles qu’on accapare… | Land Portal

Date: 7 juin 2017


Source: VO News


Par: Amadou Fall


L’équation des acquisitions de terres agricoles, ici comme ailleurs en Afrique, est de celles qui agitent le plus le débat public, quant à leur ampleur et leurs conséquences sur le monde rural et plus largement sur le développement économique et social des pays qui en sont le théâtre.  


C’est un fait. Chaque année, des centaines et des centaines de milliers d’hectares de terres fertiles, et le plus souvent proches de cours d’eau, changent de propriétaires ou d’exploitants. Mais il convient de faire la part des choses. Parmi les particuliers et opérateurs économiques nationaux qui se bousculent dans les campagnes pour acheter des terres, il y en a qui les mettent effectivement en valeur, avec les moyens modernes idoines, en termes de matériels et d’intrants agricoles, pour des exploitations à moyenne ou grande échelle. Dans ces conditions bien précises, et quand les achats se sont déroulés légalement, nul n’est en droit de juger négativement leurs initiatives. Ils participent à leurs objectifs de faire de l’agriculture un des piliers majeurs du développement de leur pays.


Nous inquiètent plutôt ceux qui font spéculativement leur beure de la terre, en la détournant de sa vocation agricole, surtout quand elle est aux portes de villes en pleine expansion. Il en est de même, et plus sérieusement encore, de l’achat d’immenses étendues, par de riches intérêts allogènes, directement ou via des acquéreurs autochtones.


La propension étrangère à l’accaparement de terres sur le continent noir est le fait de ressortissants de pays développés ou émergents évoluant généralement dans des zones dont le développement agricole est handicapé par le désert, l’exiguïté des sols, une urbanisation et une industrialisation galopantes ou une lourde charge démographique. Echaudés par les tensions du marché international dont ils sont fortement dépendants pour l’approvisionnement alimentaire de leurs populations, la prise de contrôle d’exploitations agricoles externes leur permet d’y arriver à moindre frais et dans une sécurité plus grande. Qui plus est, ils ont d’énormes réserves financières à faire fructifier.  Et  le  foncier agricole est une valeur rentable et sure, bien moins risquée que les placements spéculatifs qui ont fait s’effondrer des pans de la finance internationale.


Quid des intérêts africains ?


Généralement les Etats légitiment la vente de terres à des opérateurs étrangers en mettant en avant qu’ils participent, dans la mouvance des grands aménagements qu’ils réalisent, à la modernisation des agricultures nationales, en termes  d’infrastructures rurales, de transferts de technologies qui stimulent l’innovation et accroissent la productivité, d’installations de conservation et de transport des produits, d’opportunités agroindustrielles et de création d’emplois. Ils sont également censés les aider à atteindre rapidement la souveraineté alimentaire jusqu’à pouvoir exporter des surplus.


Tout cela est dans l’ordre du possible.


Mais le revers de la médaille est que les multinationales et autres entités allogènes qui accaparent les meilleures terres africaines, peuvent les exploiter à fond pour les abandonner une fois appauvries. Elles risquent de ruiner massivement les agricultures familiales, de transformer un grand nombre de paysans en ouvriers agricoles sous-payés, d’intensifier l’exode des gens sans terre, de réaliser des productions aux antipodes des besoins des pays qui les accueillent, mettant ainsi en péril leur sécurité alimentaire. Comme cela avait été le cas en Amérique latine, du temps de la tristement célèbre « United fruit  Co» américaine. Le modèle agricole et agroindustriel avancé est souvent destructeur pour l’environnement et la biodiversité.


Les Etats qui ont la responsabilité d’attirer les investisseurs d’où qu’ils peuvent provenir, dans l’agriculture en particulier, ont le devoir de ne pas leur aliéner la terre. Elle est et doit demeurer un patrimoine national  un bien public qui appartient plus aux générations futures que contemporaines. Il est beaucoup plus indiqué de la leur affermer sur une durée précise, en toute transparence. Les pouvoirs publics doivent s’assurer, contractuellement, que les intérêts de leurs activités productives ne détruisent pas la qualité et la fertilité des sols, ne phagocytent pas les droits légitimes des autochtones, et contribuent à la satisfaction de besoins nationaux vitaux. Sans clauses pour une répartition adéquate des récoltes entre la consommation locale et les exportations, l’objectif essentiel de la souveraineté alimentaire restera une chimère, tout comme le développement des communautés de base. La terre est assurément une très sérieuse équation…

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