Rwanda : Le gouvernement se livre à une répression dans des affaires foncières | Land Portal

Date: 31 mars 2017

Source: Hrw.org

Par Human Rights Watch

Les autorités militaires et civiles de l’ouest du Rwanda ont arrêté, passé à tabac ou menacé des personnes qui ont contesté de récentes décisions du gouvernement visant à forcer certains habitants à quitter leurs terres, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Une de ces affaires concerne un litige foncier déjà ancien à Nyamyumba, dans le district de Rubavu, où les autorités locales ont commencé à forcer certains habitants à quitter leurs terres agricoles, en faveur d’une autre famille ayant une revendication contestée de ces terres. L’autre concerne la construction d’un nouveau « village modèle » à Kivumu, dans le district de Rutsiro, où certains résidents qui vont être contraints de quitter leurs terres ont exprimé leur préoccupation au sujet des indemnités offertes par le gouvernement, qu’ils considèrent comme insuffisantes.

« Les menaces, les arrestations ou les passages à tabac ne sont pas des méthodes appropriées pour faire face à des situations dans lesquelles des personnes sont dépossédées de leurs terres et de leurs moyens d’existence », a déclaré Ida Sawyer, directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « L’objectif du gouvernement de régler les litiges fonciers et de moderniser les villages est légitime, mais piétiner les droits des personnes les plus affectées et qui expriment leurs craintes pour leurs terres et pour leurs moyens d’existence ne l’est pas. »

De janvier à mars 2017, Human Rights Watch s’est entretenu avec plus de 20 habitants de Kivumu et de Nyamyumba et avec d’autres personnes familiarisées avec ces dossiers, et a observé et analysé les procédures judiciaires relatives à ces affaires.

Les autorités ont intimidé, menacé ou, dans certains cas, passé à tabac les quelques habitants qui les ont critiquées, même modérément. Des fonctionnaires ont arrêté des membres en vue de ces communautés et les ont accusés de provocation au soulèvement, mettant en demeure d’autres résidents de se garder de toute critique, ce qui a eu un effet glaçant dans l’ensemble de la communauté.

De nombreuses personnes qui tirent leur existence du travail de leurs terres ont peur que la solution imposée par le gouvernement ne menace leur mode de vie. Dans les deux affaires qui se sont déroulées à Nyamyumba et à Kivumu, le gouvernement local a imposé une solution sans le consentement informé ou la pleine participation des habitants, et sans la participation d’une autorité indépendante - juridique ou autre - pour mettre en place un processus équitable de règlement des litiges fonciers, a constaté Human Rights Watch.

À Nyamyumba, bien qu’une famille influente revendiquât depuis longtemps la terre, les résidents qui travaillaient sur cette terre s’étaient vu il y a quelques années décerner des titres fonciers. L’un d’eux avait obtenu gain de cause devant un tribunal, contre cette famille. Mais en novembre 2016, le maire du district de Rubavu a ordonné à 30 familles de quitter leurs terres. Plusieurs réunions ont alors été organisées dans la région, lors desquelles les résidents ont été menacés et empêchés de s’exprimer. Les autorités locales, civiles et militaires, ont accusé des agriculteurs qui ont fui leurs villages de crainte d’être arrêtés, d’être des rebelles.

Lorsqu’un représentant de la communauté locale, Oscar Hakundimana, a formulé des objections à la décision du maire, il a été arrêté, le 7 décembre, et accusé de rébellion et de provocation au soulèvement. Certains habitants qui ont protesté contre son arrestation ont été passés à tabac. Son procès a débuté le 28 mars 2017.

À Kivumu, des préparatifs ont commencé pour la construction d’un « village modèle », un village centralisé dans lequel quatre familles se partageront un logement moderne livré avec des commodités de base comme l’eau et l’électricité. Les habitants de la localité seront contraints d’abandonner leurs habitations et leurs exploitations agricoles pour laisser la place au village modèle, avec des indemnités de divers montants. Le gouvernement prévoit de créer un village modèle dans chacun des 30 districts du pays.

Bien que les habitants de Kivumu aient bien apprécié certains aspects du plan visant à créer un village moderne, beaucoup d’entre eux affirment que leurs droits n’ont pas été respectés lors du processus d’expropriation, y compris leurs droits à la liberté d’expression, à des indemnités équitables et à une participation publique, et qu’ils craignent de graves conséquences pour leur sécurité alimentaire et leurs revenus lorsqu’ils devront abandonner leurs terres. D’autres ne sont pas à l’aise à l’idée de partager un logement avec d’autres familles, dans un village centralisé. Plusieurs habitants qui ont tenté de poser des questions ou d’exprimer des inquiétudes au sujet du processus, ont affirmé à Human Rights Watch que les autorités locales les avaient intimidés ou menacés et les avaient mis en demeure de se taire.

Une étudiante et activiste politique de la région qui était soupçonnée de s’opposer au plan, Léonille Gasengayire, a été arrêtée en août 2016 et inculpée de provocation au soulèvement. Des habitants qui ont essayé de témoigner à décharge lors de son procès ont été la cible de manœuvres d’intimidation. Un tribunal l’a acquittée et remise en liberté le 23 mars 2017.

La maire du district de Rutsiro a affirmé à Human Rights Watch ne pas être au courant de l’existence de critiques des expropriations. Le ministère de la Justice et d’autres responsables locaux n’ont pas répondu à des demandes répétées de Human Rights Watch de discuter des résultats de ses recherches concernant ces deux affaires.

Le Rwanda est le pays qui a la plus forte densité de population d’Afrique subsaharienne continentale. La terre est une ressource rare et a été une cause de tension tout au long de l’histoire du pays. En 2001, Human Rights Watch a publié un rapport sur une politique du gouvernement qui visait à regrouper les Rwandais dans des villages créés par lui, employant la contrainte contre ceux qui résistaient, avec comme résultat de nombreuses violations des droits humains. Des habitants ont souvent été expropriés de leurs terres sans recevoir d’indemnités adéquates ou sans être consultés, et de nombreux Rwandais qui se sont exprimés ouvertement contre cette politique ou ont refusé d’obéir ont été punis d’amendes ou arrêtés.

« L’intolérance du gouvernement rwandais pour la contestation va au-delà des leaders d’opposition, des journalistes ou des activistes des droits humains qui osent faire état de ses abus », a affirmé Ida Sawyer. « Le gouvernement peut démontrer un réel attachement aux droits fondamentaux de ses citoyens, tels que les libertés d’opinion et d’expression et le droit à un processus équitable, en remettant immédiatement en liberté Oscar Hakundimana. Il devrait également cesser de harceler d’autres personnes qui ont exprimé leur opposition aux décisions du gouvernement concernant les affaires foncières. »

Litige foncier à Nyamyumba

Le litige foncier de la cellule de Rubona, dans le secteur de Nyamyumba, dans le district de Rubavu, est étroitement lié à l’histoire du Rwanda. À la suite de violences et d’importants mouvements migratoires à destination et en provenance du Rwanda depuis la « révolution » de 1959, quand les membres de l’ethnie Hutu se sont emparés des leviers du pouvoir au Rwanda à la suite de vagues de violences interethniques, la propriété des terres dans la région est disputée et a alterné entre la famille Munyegomba, dont la revendication de la terre date d’avant 1959 et est actuellement soutenue par les autorités locales, et un groupe de 140 familles qui occupent et travaillent ces terres depuis de nombreuses années.

Des membres de la famille Munyegomba ont fui le Rwanda après 1959 et d’autres résidents ont alors occupé leurs terres. La famille est revenue après le génocide de 1994, quand les personnes qui avaient occupé les terres en son absence se sont enfuies en République démocratique du Congo. Ces résidents qui avaient fui sont revenus en 1996 et 1997, pour constater que les terres avaient été réoccupées.

La famille Munyegomba a quitté de nouveau les terres quelques années plus tard, quand des groupes armés basés en RD Congo, communément appelés les « infiltrés », ont commis des attaques sanglantes au Rwanda à la fin des années 90. Les résidents qui étaient rentrés de RD Congo ont engagé avec succès des démarches auprès des autorités nationales pour récupérer leurs terres. Ils ont recommencé à travailler ces terres et ont continué à le faire jusqu’à ces derniers mois.

De 1998 à 2011, la famille Munyegomba a tenté de récupérer les terres en engageant des procédures judiciaires contre un dirigeant communautaire – le père d’Oscar Hakundimana – mais sans succès : en appel, un tribunal a statué que les terres appartenaient au père d’Hakundimana. Lors d’une opération nationale d’enregistrement des terres, les terres d’Hakundimana et d’autres résidents ont été enregistrées et des titres fonciers ont été attribués aux agriculteurs, malgré l’opposition de la famille Munyegomba.

À la fin de 2015 cependant, les autorités locales ont annoncé, lors d’une réunion communautaire, que les terres agricoles appartenant à 30 foyers familiaux – une revendication antérieure concernait 140 foyers – devaient être transmises à la famille Munyegomba. Trois personnes qui ont exprimé leur opposition à cette annonce, dont Oscar Hakundimana, ont été arrêtées, puis remises en liberté le lendemain.

Plusieurs autres réunions communautaires ont suivi en 2016, lors desquelles les autorités locales ont continué de presser les résidents de renoncer à leurs prétentions sur les terres. En août 2016, la police a convoqué 30 personnes pour interrogatoire et a brièvement détenu Hakundimana qui, lors d’une réunion, avait de nouveau refusé publiquement de renoncer à ses terres. Un responsable local a menacé d’arrestation d’autres résidents.

Le 24 novembre, le maire de Rubavu, Jérémie Sinamenye, a visité le village et annoncé, lors d’une réunion communautaire, que les 30 foyers familiaux devraient quitter leurs terres avant le 20 janvier 2017. Il a affirmé qu’ils avaient acquis leurs terres de manière frauduleuse, que les résidents avaient précédemment accepté de quitter ces terres et qu’ils devraient verser un loyer s’ils refusaient de partir.

Lors de la réunion communautaire, Hakundimana a critiqué la décision du maire. Un participant à la réunion a déclaré par la suite à Human Rights Watch :

Oscar a déclaré que le gouvernement devrait respecter la loi, mais qu’il lui semblait que d’autres facteurs étaient en jeu. Il a déclaré : « Nous possédons des documents légaux. Mais maintenant, vous venez nous les prendre. N’est-ce pas le même gouvernement [qui nous a attribué les titres de propriété] ? » Le maire a répondu : « Ne savez-vous pas qui je suis ? Tu es devenu un rebelle contre nous. Je ne sais pas comment je peux te répondre. »

Le lendemain de la réunion, des habitants ont écrit une lettre aux autorités provinciales et nationales, demandant au gouverneur de la province de l’Ouest de suspendre la décision du maire, étant donné que celui-ci avait refusé de prendre en considération leurs titres fonciers légaux.

Dans ce qui apparaît comme une réplique, des militaires ont arrêté Hakundimana le 7 décembre 2016. Lors de son arrestation, Hakundimana et plusieurs autres résidents ont été passés à tabac. L’un d’eux a par la suite déclaré à Human Rights Watch :

Les militaires ont arrêté Oscar et l’ont emmené dans un camp militaire. […] Quand ils sont arrivés dans notre village, ceux d’entre nous qui habitent à proximité ont demandé aux militaires : « Nous avons entendu dire que vous tuez des gens. Avez-vous arrêté Oscar juste pour le tuer ? Nous savons qu’il est innocent. Pourquoi l’avez-vous arrêté ? » Les militaires nous ont dit que nous étions tous des rebelles contre le gouvernement, et qu’ils ne pouvaient pas tolérer nos erreurs. Puis ils nous ont sévèrement battus à coups de gourdins.

Hakundimana est en détention préventive depuis cette date. Les recherches effectuées par Human Rights Watch indiquent qu’il a été passé à tabac et menacé en prison, dans ce qui apparaît comme une tentative de le forcer à quitter sa terre.

Le ministère public l’a accusé d’avoir demandé, lors de la réunion avec le maire, quelle branche du gouvernement ce dernier représentait, et d’avoir déclaré que le gouvernement rwandais détestait sa population, de sorte que la population devrait également détester le gouvernement. Lors d’une audience le 28 mars, le ministère public l’a également accusé de s’adresser aux médias. Hakundimana nie ces accusations et a déclaré aux juges, lors d’une audience préliminaire, qu’il avait été arrêté à cause du litige foncier et de son insistance sur le fait que son père avait obtenu gain de cause devant un tribunal au sujet de ces terres, et par conséquent qu’il ne pouvait pas maintenant renoncer à ses prétentions sur elles.

Après l’arrestation d’Hakundimana, plusieurs résidents se sont enfuis de leurs domiciles pour plusieurs jours, craignant d’être arrêtés. « La police et les militaires nous recherchent », a déclaré un résident en fuite à Human Rights Watch. « Nous nous sentons visés. Nous ne pouvons pas accéder à nos champs parce que la police et les militaires y sont. S’ils nous trouvent, ils ne nous emmèneront pas au poste de police ; ils nous tueront. »

Des résidents ont affirmé à Human Rights Watch qu’ils étaient préoccupés au sujet de l’indépendance des autorités et craignaient d’être arrêtés. L’un d’eux a déclaré :

Nos adversaires viennent sur nos terres agricoles et détruisent nos récoltes. Quand nous posons des questions à ce sujet aux autorités, elles ne répondent pas. Ces autres personnes [qui revendiquent la propriété des terres] ont plus de pouvoir que nous. Elles sont soutenues par le gouvernement et peuvent s’emparer de nos récoltes. Nous craignons, même aujourd’hui, l’éventualité d’être arrêtés. Ils nous accusent d’être membres de partis politiques qui s’opposent au gouvernement.

Après que certains résidents eurent pris la fuite, le commandant militaire local les a accusés, lors d’une réunion communautaire, d’avoir rejoint les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé composé en grande partie de Rwandais d’ethnie Hutu et basé dans l’est de la RD Congo.

La femme d’un des résidents qui avait été ciblé a déclaré :

C’est un problème d’argent. Nos adversaires sont des gens qui ont beaucoup d’argent et sont soutenus par les militaires et les autorités. Ils nous persécutent pour nous prendre nos terres. […] Ils ont inscrit mon mari sur une liste de membres d’un parti politique, le PS-Imberakuri [parti d’opposition non enregistré]. Mais il n’a aucune idée de la façon dont cela a pu se passer. Ils font cela pour avoir des prétextes pour persécuter des gens, pour dire qu’ils sont opposés au gouvernement.

Plusieurs résidents se sont adressés aux médias au sujet de leur situation et maintenant, ils craignent que le fait qu’ils aient parlé aux médias soit une des raisons expliquant la répression exercée à leur encontre. L’un d’eux a été cité dans Kigali Today, un média favorable au gouvernement, déclarant : « Nous pourrions partir s’ils nous indemnisaient en nous donnant d’autres terres. Mais comment pouvons-nous leur céder ces terres, qui sont notre moyen d’existence ? »

Un autre résident s’est exprimé sur Voice of America au sujet de l’arrestation d’Hakundimana :

Ces accusations qu’ils ont portées contre lui sont des mensonges. Comment peut-il provoquer un soulèvement de la population contre l’État quand il participe à une réunion organisée par les autorités ? Ils veulent juste fabriquer de fausses accusations contre lui pour intimider les autres résidents.

Hakundimana a été inculpé de « rébellion » et de « provocation au soulèvement ou aux troubles parmi la population. » Son procès a commencé le 28 mars 2017. Le jugement est attendu pour le 26 avril.

En réponse à une lettre que lui ont adressée des résidents, le gouverneur de la province de l’Ouest a visité la région le 21 décembre. En ce qui concerne l’arrestation d’Hakundimana, il a déclaré: « une chose pareille ne se produit pas dans ce pays », ajoutant que des habitants ne peuvent pas être emprisonnés pour avoir exprimé une opinion. Il a donné instruction au maire de Rubavu de trouver une solution au litige. Et pourtant, près de trois mois plus tard, la situation n’a pas changé et Hakundimana est toujours en détention préventive, en attendant la fin de son procès.

Le maire de Rubavu s’est rendu dans la localité après la visite du gouverneur mais il n’a pas annoncé comment la dispute sera résolue. Il n’a pas fait de commentaire sur les constatations de Human Rights Watch.

« Village modèle » à Kivumu

Une zone de la cellule de Buyonyo dans le secteur de Kivumu dans le district de Rutsiro a été choisie pour la construction d’un nouveau « village modèle. » Selon le contrat de performance du district, document signé chaque année entre le président rwandais et le maire du district pour fixer les objectifs du district, le village modèle sera utilisé pour reloger des foyers familiaux provenant de zones considérées comme à hauts risques d’inondations ou de glissements de terrain, ainsi que d’établissements éparpillés. Cinquante-sept foyers familiaux ont été informés en août 2016 qu’ils allaient devoir quitter leurs terres, qui seraient utilisées pour construire le nouveau village.

De nombreux résidents ont affirmé que l’indemnité qui leur a été offerte était insuffisante. Plusieurs ont déclaré à Human Rights Watch que seuls les personnes possédant des terres plus vastes avaient reçu des indemnités ou que les indemnités pour leurs maisons, leurs terres et leurs récoltes ne reflétaient pas leur véritable valeur. Certains ont été informés qu’ils seraient indemnisés en partie en se voyant attribuer une place dans le village modèle.

D’autres ont affirmé que les procédures légales, aux termes de la loi rwandaise de 2015 sur les expropriations, n’avaient pas été suivies. La loi établit la procédure à suivre pour approuver des expropriations dans l’intérêt public et pour déterminer les indemnités pour les terres, pour les activités engagées sur ces terres et pour le dérangement causé par l’expropriation. Les personnes affectées doivent être dûment informées d’une décision d’expropriation et doivent être présentes lors de l’opération d’évaluation. Le propriétaire des terres peut approuver ou contester la décision prise par l’assesseur. La loi stipule que « la juste indemnisation destinée à l’exproprié doit être payée avant le déménagement. »

Certains résidents ont affirmé que l’expropriation de leurs terres sans indemnisation par l’octroi de terres d’une valeur équivalente les expose à de graves risques pour leur sécurité alimentaire et leurs moyens d’existence. Un agriculteur a déclaré : « Nous admirons réellement le développement de notre pays. Mais le développement de ce pays devrait également prendre en compte notre sécurité alimentaire. Nous ne pouvons pas vivre dans des logements sans une terre qui puisse nous fournir notre nourriture. »

Plusieurs résidents ont déclaré que vivre à quatre familles par maison, dans un lotissement centralisé, comme ce sera le cas dans le village modèle, est contraire à leur mode de vie traditionnel et préféré. Un agriculteur a déclaré :

Ces maisons dans un village modèle sont comme un camp. Je préfère être tout seul dans ma maison, plutôt que vivre avec d’autres. Je ne serai plus libre comme avant. La communauté préfère avoir une maison par famille mais le gouvernement a refusé. Nous ne pouvons pas être contre le gouvernement, alors nous avons accepté, mais ce n’est pas par notre propre volonté.

Des résidents ont affirmé à Human Rights Watch que la procédure d’expropriation s’était déroulée dans un contexte d’information insuffisante et d’intimidation. Plusieurs d’entre eux se sont plaints de n’avoir pas pu exprimer leurs objections. Un agriculteur a déclaré :

Personne ne peut poser de questions au sujet de l’indemnisation ou des problèmes concernant le village modèle. Des parlementaires ont visité notre village. Personne n’a essayé de leur poser des questions car tout le monde sait qu’ils seront chassés du village s’ils en posent. Toute la population est sérieusement intimidée.

Un autre résident s’est plaint du responsable chargé d’enregistrer les propriétés :

Quand nous lui demandons quelque chose, il répond sur un ton de colère. Il nous intimide et ne comprend pas. Il effectue les enregistrements tout seul et nous donne l’impression que cela ne nous concerne pas. […] Quand je l’ai interrogé à propos de quelque chose qui avait été dit lors d’une réunion communautaire, il a répondu : « Je ne vous ai pas dit de me poser des questions. Vous ne devriez pas écouter les autres. C’est moi qui vous dirai ce qui va se passer. »

Quand Léonille Gasengayire, une jeune étudiante et activiste née dans la région, a été soupçonnée de s’exprimer publiquement contre l’expropriation des terres et d’exiger des indemnisations équitables, lors d’une réunion privée en août 2016, les autorités l’ont arrêtée et l’ont par la suite poursuivie en justice pour « provocation au soulèvement ou aux troubles parmi la population », accusations qu’elle a niées.

Plusieurs résidents ont affirmé à Human Rights Watch qu’ils avaient été contraints de témoigner à charge contre Gasengayire. Ils ont également affirmé que des responsables gouvernementaux locaux avaient tenté d’empêcher les témoins de la défense d’assister à son procès.

Un résident a affirmé qu’un responsable du gouvernement local leur avait dit en janvier 2017 : « Personne n’a le droit d’aller au tribunal pour être témoin de la défense pour Léonille [Gasengayire]. Si des gens y vont, ils peuvent être tués ou avoir des problèmes. » Un autre résident a déclaré que le même responsable gouvernemental avait averti que les résidents ne seraient pas autorisés à retourner dans leur village s’ils témoignaient en sa faveur.

Les témoins de la défense ont tout d’abord manqué de comparaître durant le procès, qui a été observé par Human Rights Watch, mais ont témoigné par la suite.

Le nom de Gasengayire a été régulièrement cité lors des réunions communautaires, dans un effort visant à mettre en garde les résidents contre l’idée de s’exprimer. Un résident qui a participé à ces réunions a déclaré :

Quand les autorités viennent au village, elles disent : « Vous avez vu l’exemple de Léonille [Gasengayire]. Si vous refusez de faire ce que nous voulons, vous aurez le même sort qu’elle. Nous allons condamner Léonille à 18 ans de prison. » Léonille est devenue comme un refrain que l’administration locale chante devant la communauté.

Lors des audiences préliminaires, Gasengayire a également été accusée de faire la promotion du parti politique d’opposition FDU-Inkingi. Gasengayire est membre de ce parti et avait été brièvement arrêtée en mars 2016. Comme tous les partis d’opposition sauf un au Rwanda, le FDU-Inkingi n’a pas été en mesure de se faire enregistrer en tant que parti. Même si la loi rwandaise considère comme un crime la « formation et direction d’une formation politique contrairement à la loi », Gasengayire n’a pas été inculpée de cette infraction et ses activités politiques ne semblent pas avoir constitué une violation de la loi du Rwanda.

Le 23 mars 2017, le juge de la Haute cour, chambre de Rusizi, a rejeté les dépositions des témoins de l’accusation et des responsables locaux, a acquitté Léonille et ordonné sa remise en liberté, au bout de sept mois de détention préventive. Human Rights Watch a observé les procédures.

La maire du district de Rutsiro a affirmé à Human Rights Watch qu’elle n’était pas informée de l’existence de critiques au sujet des expropriations. « Nous avons organisé plusieurs réunions là-bas et personne ne s’est plaint », a-t-elle dit. « Peut-être que ces gens ne sont pas satisfaits du montant [des indemnisations], mais ils l’ont accepté. Il n’y a pas eu de menaces. » Elle s’est abstenue de tout commentaire sur l’arrestation et la procédure judiciaire à l’encontre de Gasengayire.

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